Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différens vocables, dépourvus de toute signification précise, n’ont plus qu’un sens flottant et variable, il en résulte que la machine parlementaire est assujettie à un effroyable travail pour faire et défaire les lois. Le vice-président de la Société britannique de législation, M. Janson, d’après Herbert Spencer, a constaté que depuis le statut de Merton (20, Henri III), c’est-à-dire depuis l’an 1236 jusqu’en 1872, le parlement anglais avait voté 18,160 mesures législatives, dont les quatre cinquièmes avaient été abrogées entièrement ou en partie. Mais le mécanisme législatif de la Grande-Bretagne était fort lent dans les siècles écoulés ; il a participé, dans la seconde moitié de ce siècle, de l’accroissement de rapidité dont ont bénéficié toutes les machines quelles qu’elles soient. Dans les trois années 1870, 1871 et 1872, Herbert Spencer calcule que, sans compter les lois absolument nouvelles, le législateur britannique a amendé ou abrogé complètement 3,532 lois antérieures. D’un autre côté, le comte de Wemyss, président de la Liberty and Property Defence League, donne, dans un de ses opuscules, la liste de 243 mesures législatives, acts ou bills ayant un caractère socialiste, qui ont été votées par le parlement anglais de 1870 à 1887[1]. Grisé par ce mouvement législatif perpétuel, un homme public anglais s’écrie que « la doctrine du laisser-faire est aussi morte que le culte d’Osiris. »

Cette excessive fécondité et cette frivole inconstance des législatures modernes font douter qu’elles soient en possession de la vérité. Ces centaines de lois, souvent assez récentes, que l’on abroge chaque année, suggèrent à l’observateur que le législateur passé a du souvent se tromper, et le soupçon que le législateur actuel ou futur n’est ou ne sera pas plus exempt d’erreur. On n’en continue pas moins, en tout pays, à vouloir réglementer à outrance le régime du travail et, dans des plans gigantesques, on se plaît à rêver que l’on pourra mettre un jour toutes les nations d’accord pour l’établissement d’un régime international de protection des travailleurs.


II

Le phénomène le plus intéressant peut-être de ce temps, au point de vue social et même politique, c’est l’enthousiasme nouveau des représentans de la démocratie pour l’organisation du travail au moyen âge. Quelques politiciens dissimulent encore leurs préférences pour les vieilles institutions corporatives du temps de

  1. Socialism at St-Stephens, by the earl of Wenmyes.