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Directoire[1], sont punies sous le Consulat[2], bientôt conduits à faire de nécessité vertu, à se glorifier intérieurement de leur rectitude forcée, à se croire une conscience, par suite à acquérir une conscience, bref, à s’imposer volontairement la probité et l’exactitude par amour-propre et point d’honneur. — Pour la première fois depuis dix ans, les rôles nominatifs de l’impôt sont dressés et entrent en recouvrement dès le commencement de l’année[3]. Avant 1789, le contribuable était toujours en retard, et le trésor ne recevait chaque année que les trois cinquièmes de l’année courante[4] ; à partir de 1800, l’impôt direct rentre presque en entier avant le dernier jour de l’année courante, et, un demi-siècle plus tard, les contribuables, au lieu d’être en retard, seront en avance[5]. Pour faire la besogne, avant 1789, il fallait, outre le personnel administratif, environ 200,000 collecteurs[6], occupés, deux ans de suite et pendant la moitié de leur journée, à courir de porte en porte, misérables et haïs, ruinés par leur office ruineux, écorchés, écorcheurs, toujours escortés d’huissiers ou de

  1. Stourm, ibid., II, 305. (Discours d’Ozanam aux Cinq-cents, 14 pluviôse an VII.) « Trafic scandaleux… La plupart des receveurs de la république sont des chefs, des souteneurs de banques. » — (Circulaire du ministre des finances, 25 floréal an VII.) « Agiotage effréné auquel un grand nombre de percepteurs se livrent sur les bons de rente et autres valeurs admises en paiement des contributions. » — (Rapport de Gros-Cassaud Florimond, 19 septembre 1799.) « Parmi les agens corruptibles et corrupteurs, il n’y a que trop de fonctionnaires publics. » — Mollien, Mémoires, I, 222. (En 1800, il vient d’être nommé directeur de la caisse d’amortissement.) « Le compliment banal que je recevais partout (et même des finances d’État qui affectaient la morale la plus austère) était celui-ci : vous êtes bien heureux d’avoir une place dans laquelle on peut légitimement faire la plus grande fortune de France. » — Cf. Hocquain, État de la France au 18 brumaire. (Rapports de Lacuée, Fourcroy et Barbé-Marbois.)
  2. Charlotte de Sohr, Napoléon en Belgique et en Hollande, 1811, t. I, 243. (Sur un haut fonctionnaire condamné pour faux et que Napoléon maintenait au bagne malgré toutes les sollicitations.) « Je n’accorderai jamais de grâce aux dilapidateurs des deniers publics… Ah ! parbleu ! le bon temps des fournisseurs reviendrait de plus belle, si je ne me montrais inexorable pour ces honteux délits.
  3. Stourm, ibid., I, 177. (Rapport de Gaudin, 15 septembre 1799.) « Il reste encore des rôles à faire pour l’an V, et un tiers de ceux de l’an VII est en retard. — (Rapport du même, Ier germinal an X.) Tout était à faire, à l’avènement du consulat, pour l’assiette et le recouvrement des contributions directes ; 35,000 rôles de l’an VII restaient encore à former. À l’aide du nouvel établissement, les rôles de l’an VII ont été achevés ; ceux de l’an VIII ont été faits aussi promptement qu’on pouvait l’espérer, et ceux de l’an IX ont été préparés avec une célérité telle que, pour la première fois depuis la révolution, le recouvrement a pu commencer avec l’année même à laquelle ils appartenaient. »
  4. Archives parlementaires, VIII, p. 11. (Rapport de Necker aux états-généraux, 5 mai 1789.) « Ces deux cinquièmes, quoique légitimement dus au roi, sont toujours en arrière… (Aujourd’hui) tous ces arriérés se montent à environ 80 millions. »
  5. De Foville, la France économique, p. 351.
  6. L’Ancien Régime, 403.