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près de 180 millions de francs, soit l’équivalent du capital de la Société des métaux, de celui de la Compagnie auxiliaire, des avances des membres participans du syndicat, et de celles, bien plus considérables, du Comptoir d’escompte. Le cuivre tombait d’un seul coup de 80 livres sterling la tonne à 70 livres sterling, puis bientôt après à 56 livres sterling; tout l’édifice de cette immense spéculation, fondée sur une idée économique radicalement fausse et soutenue pendant plus d’une année contre toute logique, tout bon sens et contre la force brutale des choses, s’est écroulé subitement.

La chute de la Société des métaux et du Syndicat a eu pour conséquence immédiate la ruine du Comptoir d’escompte. Déjà les actions avaient baissé de 1,050 à 950 avant la liquidation, et à 850 le 2 mars.

Le gouvernement russe, avisé des rumeur.» qui avaient cours, adressa un matin, par télégramme, au Comptoir l’ordre de remettre une somme de 22 millions qui se trouvait en dépôt à son compte dans les caisses de cet établissement. Dans la même journée, à midi, le directeur du Comptoir se tuait. La nouvelle de ce suicide, bientôt connue en Bourse, y détermina une baisse considérable, et les déposans commencèrent à se ruer sur les guichets de l’établissement de la rue Bergère, pour retirer fonds et titres. La panique a duré trois jours pendant lesquels plus de 100 millions, deux cents peut-être, ont été remboursés.

Mais il avait fallu, pour la réalisation d’un fait aussi remarquable, une intervention gouvernementale, et un prêt énorme de la Banque de France. Réduit à ses seules ressources, le Comptoir eût dû, dans la matinée du troisième jour, suspendre ses paiemens. La Banque de France a fait une avance de 100 millions qui a tout sauvé, au moins en ce qui regardait le run des déposans. Du même coup les autres institutions de crédit, dont les opérations sont alimentées par les dépôts du public, ont été sauvegardées. La panique n’en eût épargné aucune, si les guichets du Comptoir avaient dû être fermés, ne fût-ce que pour quelques jours ou même quelques heures.

Quant au Comptoir, il lui a fallu abandonner, contre l’avance de la Banque de France, la totalité de son actif; de plus, un syndicat de banquiers et d’établissemens de crédit a constitué un fonds de 20 millions, comme garantie pour la Banque de France, contre toute perte éventuelle, jusqu’à concurrence de cette somme.

On a émis la crainte que l’actif du Comptoir ne fût pas suffisant pour couvrir l’avance. Ce n’est sans doute pas l’impression actuelle de la Bourse qui, après une baisse des actions du Comptoir jusqu’à 305 francs, les a relevées au-dessus de 400. Mais il se peut que cette reprise soit seulement le résultat des rachats pour le règlement des ventes à découvert. Il se peut aussi que, en présence des grands périls que faisait courir au marché le recul précipité de toutes les valeurs, les cours aient été