Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelle, qu’il voulait tout au plus se donner le passe-temps de voyager pendant quelques mois en laissant derrière lui une régence temporaire. Il a fait son sacrifice complet et définitif. Il a renoncé au règne, il a laissé sa couronne à son fils, un enfant de douze ans, aujourd’hui le roi Alexandre Ier. En quelques jours, tout a été fait et accompli : abdication, inauguration du nouveau règne, institution de la régence, organisation d’un ministère. Il resterait à savoir ce qui a préparé ou décidé cet événement à demi romanesque, dans tous les cas assez énigmatique, quelles en seront aussi les conséquences et pour la Serbie et pour les autres jeunes états des Balkans.

Est-ce parce qu’il s’est senti prématurément atteint dans sa santé et dans ses forces que ce roi de moins de quarante ans a cru devoir se dérober aux obligations du règne? Y a-t-il eu quelqu’une de ces raisons intimes, mystérieuses, un de ces caprices qui décident maintenant, à ce qu’il paraît, de la destinée des princes et ont sur eux plus d’empire que l’attrait de la royauté? Est-ce dégoût, lassitude du pouvoir ou impatience dans une situation que le roi Milan lui-même s’est créée et dont il se serait cru impuissant à surmonter les difficultés? C’est peut-être tout cela, c’est peut-être autre chose encore. Qui peut dire le secret de cette résolution extrême d’un prince à la fois violent et faible, capricieux et obstiné ? A ne voir que les faits les plus saisissables, on pourrait dire que cette abdication est le dernier mot d’un règne assez pauvrement conduit. Déjà il y a quelques années, dans cette guerre qu’il avait provoquée contre la Bulgarie et où il subissait toutes les humiliations de la défaite, il avait un assez triste rôle qui n’était pas fait pour rehausser son prestige aux yeux de son peuple. Depuis, il s’est jeté légèrement, aveuglément, dans cette aventure équivoque du son divorce, où il n’a réussi à imposer sa volonté à des chefs ecclésiastiques timorés qu’en employant tous les moyens de captation violente, et de cette lutte contre la femme qu’il avait choisie, qui était la mère du roi futur, il est sorti moralement vaincu, diminué: c’est la reine Nathalie qui a gardé l’avantage, qui est restée populaire dans le pays. Tout récemment, il a entrepris de refaire une constitution; il a voulu réunir une assemblée constituante, une skouptchina pour sanctionner ses volontés. Le pays lui a envoyé, en immense majorité, des représentans radicaux, qui ne sont pas sans doute des radicaux à la mode européenne, qui ont dans tous les cas une politique intérieure et extérieure toute autre que la politique du roi. Milan, après avoir fait voter tant bien que mal sa constitution, a essayé d’imposer à ses députés un ministère de son choix. Le pays, saisissant l’occasion des élections municipales, a voté plus que jamais pour les radicaux. Le roi n’a pas tardé à voir, par les manifestations successives du pays, qu’il allait être placé dans l’alternative de se soumettre ou de tenter un coup d’état. A-t-il senti qu’il n’était plus de force à jouer cette partie jusqu’au