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qu’il voyait grandir autour de lui, qui commençait à devenir redoutable dans le parlement, et il est allé au-devant de la difficulté en donnant sa démission, pour ne pas soutenir jusqu’au bout des mesures financières qui aggravaient les charges du pays. C’est l’origine de la crise qui vient de se dérouler pendant quelques jours à Rome. M. Crispi a paru essayer de toutes les combinaisons; en réalité, il s’est borné à choisir deux ou trois nouveaux collègues pour le trésor, pour les finances, en gardant pour lui-même la direction des affaires intérieures et des affaires diplomatiques. En d’autres termes, c’est toujours, à quelques noms près, le même ministère sous le même président du conseil. Est-ce aussi la même politique? C’est toute la question. Le gouvernement du roi Humbert se trouve aujourd’hui, à n’en pas douter, en présence d’une situation critique. Le pays souffre cruellement. La misère est dans les provinces agricoles. Le commerce et l’industrie sont en décroissance; les recettes des douanes diminuent. Évidemment l’Italie ne pourrait suffire à des dépenses nouvelles, puisqu’elle ne peut déjà suffire aux charges qui pèsent sur elle dans la situation économique qui lui est faite. Le problème est pressant : il faut choisir entre la politique des grandes alliances, des armemens, et la politique des dégrèvemens, des économies, des négociations commerciales avec la France. Ce qui ne serait plus réellement une politique, ce serait de prétendre concilier les deux systèmes. À ce jeu, M. Crispi se préparerait et préparerait à son pays de nouvelles et inévitables déceptions.

Il y a aujourd’hui en Europe plus d’affaires en suspens que d’affaires sérieusement, fortement engagées, et plus de disposition à détourner ou à retenir les conflits qu’à les précipiter. Il y a plus de tiraillemens obscurs, plus de difficultés intimes et d’incidens prévus ou imprévus que d’événemens graves, décidément menaçans. difficultés et incidens ne manquent pas, à la vérité. Il y en a un peu dans tous les pays et sous toutes les formes, non seulement en Italie, avec cette dernière crise qui ne changera rien, mais en Autriche, où la discussion du budget devient assez vive et où l’on n’en finit pas de la loi militaire, en Angleterre, où la proposition de nouveaux armemens ne laisse pas de rencontrer quelque opposition. Des incidens, il y en a aussi, il faut toujours s’y attendre, dans cette région de Balkans où rien n’est jamais assuré, où se poursuit la lutte des grandes influences, et où l’incertitude des choses vient de se dévoiler par un nouveau coup de théâtre, qui peut tout compliquer encore une fois : l’abdication du roi Milan de Serbie ! C’en est donc fait : il a définitivement abdiqué, ce prince fantasque et bizarre qui a régné plus de vingt ans, qui a certainement servi son pays puisqu’il a contribué à l’émanciper de la suzeraineté turque et qui l’a aussi beaucoup agité par ses caprices de petit autocrate oriental. Jusqu’au dernier moment, on a cru que ce n’était qu’une fantaisie