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d’opinion qui vont se confondre dans ce mouvement, dont on s’effraie, non sans raison. La campagne engagée par le gouvernement se comprendrait encore et aurait peut-être quelque efficacité, si en même temps le ministère se montrait résolu à rallier l’opinion par une politique de vigilante et énergique réparation, si la répression n’était qu’une partie d’un système dont le rappel de M. le duc d’Aumale serait l’autre partie, si, en un mot, on offrait au pays une direction, un ensemble de mesures rassurantes. Le ministère, avec quelques bonnes intentions, ne se fait visiblement qu’une idée assez vague, assez douteuse de la situation délicate où il se trouve placé, où tout peut dépendre de l’impulsion qu’on donnera, — et ce que ne fait pas le gouvernement, c’est aux hommes de bonne volonté de le tenter d’ici aux élections.

C’est précisément l’objet d’une association qui vient de se former, non pas pour ajouter à la confusion, mais pour rallier, s’il se peut, toutes les bonnes volontés éparses, pour créer un centre d’action entre « le césarisme qui nous menace et le radicalisme qui lui a frayé la route. » Son programme est bien simple, c’est le programme de la modération, de la tolérance et du libéralisme : raffermir l’autorité de la Constitution et des lois, rétablir l’équité, l’ordre et la vigilance dans l’administration, mettre fin aux guerres religieuses, rompre avec la politique des gaspillages financiers et des déficits, rendre à la France le droit et la possibilité de vivre en paix à l’abri d’un gouvernement protecteur! Il s’agit, en un mot, de préciser pour les élections prochaines le programme de la modération, — et c’est évidemment le seul moyen de préparer un régime qui ne soit ni l’anarchie ni la dictature.

Le mal profond qui nous dévore, qui fait la faiblesse de tous les pouvoirs, en effet, c’est que depuis longtemps on a tout livré, et l’intégrité de la loi et les traditions les plus nécessaires et les garanties les plus inviolables et les plus simples conditions de gouvernement. On a tout compromis, et un des plus tristes résultats de ces confusions de politique intérieure, c’est que l’action extérieure s’en ressent fatalement, c’est que ceux qui sont chargés de parler pour elle n’ont plus eux-mêmes le sentiment de ce qu’ils peuvent et de ce qu’ils doivent faire. Ils sont les captifs de l’esprit de parti jusque dans leur diplomatie; ils y ajoutent l’inexpérience d’hommes improvisés ministres des affaires étrangères, portés par le hasard à la direction des intérêts les plus délicats. Ils confondent assez souvent la dignité avec la raideur, ou la courtoisie des rapports avec l’obséquiosité, et ils sont quelquefois obligés de racheter leurs imprudences par des excès de timidité. Ils ont les meilleures intentions, sans doute, et si l’on veut, d’une manière générale on peut dire que depuis quelques années ils n’ont compromis rien d’essentiel. Ils ont eu la sagesse de réserver l’action de la France, d’offrir le moins possible des prétextes à des suspicions ou à des hostilités dont notre pays est trop souvent l’objet. Il n’est pas moins évident