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Paris et peut-être d’ailleurs, le meilleur est sans contredit celui du Conservatoire. L’orchestre du Conservatoire reste l’interprète incomparable de Haydn, de Mozart et de Beethoven, les trois grands maîtres de la symphonie avant M. Franck. Il a la force et la finesse, la sagesse et la passion. Il sait envelopper comme d’un coup de fouet les terribles accords de l’ouverture de Coriolan ou fredonner du bout de ses archets les spirituels menuets de Haydn. Il possède des solistes de premier ordre, et quand on joue du hautbois comme M. Gillet, par exemple, il faut, pour ne pas même saluer le public qui bat des mains, la simplicité et la modestie qui caractérisent les instrumentistes et les distinguent des compositeurs, des chanteurs, et même, ainsi qu’on l’a vu tout à l’heure, des critiques musicaux.

Signalons avant de finir le retour parmi noue d’un artiste très distingué dont nous avait trop longtemps privés l’Amérique. Après une absence de plusieurs années, M. Bouhy, qui joua jadis avec le plus grand talent le répertoire de l’Opéra-Comique, qui créa quelques rôles nouveaux, entre autres l’Escamillo de Carmen, M. Bouhy s’est fait entendre deux fois au concert du Châtelet. Il a toujours son beau style, la même élégance mâle et la même distinction sans afféterie. Il appartient à l’école des Faure et des Carvalho, à l’école admirablement correcte du chant français. Ce n’est peut-être pas l’école de l’émotion dramatique, celle des Krauss ou des Reszké, mais celle de la perfection musicale et vocale. On disait que M. Faure chantait en lettres majuscules; M. Bouhy a donné le même, ou les mêmes caractères à l’air d’Agamemnon dans Iphigénie en Aulide, et à l’air d’Élie, tiré de l’oratorio de Mendelssohn. Je ne crois pas que ces deux nobles pages puissent être plus noblement chantées.

Un dernier mot enfin. La foule a pris d’assaut, dimanche dernier, le Cirque d’été, pour entendre la célèbre cantatrice viennoise, Mme Materna. Nous l’avions nous-même entendue autrefois à Bayreuth, à Vienne, et nous conservions de Brunehild, de Kundry, d’Iseult et d’Alceste un souvenir pour ainsi dire grandiose. L’artiste avait une voix proportionnée à sa taille, et sa taille est colossale. Mme Materna semble à la fois bâtie et baptisée par les Romains. Elle nous avait ravi par l’éclat et la sûreté de cette voix, par la noblesse de son style, la puissance et même la violence dramatique de son jeu. D’où vient que dimanche nous avons espéré vainement le plaisir goûté jadis? Sans parler d’un air de Tannhaüser, vague et bref au point de paraître insaisissable, la mort d’Iseult même nous a laissé indifférent, pour ne pas dire plus. A Bayreuth pourtant, de quelle émotion nous saisit cette apothéose, cette assomption d’une mourante d’amour! Je vois encore Iseult agenouillée sur le cadavre de Tristan, et se relevant par