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La seconde fois, ils ont disparu ; mais rien ne se cachait derrière eux ; leur voile était mensonger, leur mystère trompeur, et la deuxième audition, loin de confirmer notre impression primitive, l’a presque effacée. Non pas que cette symphonie ne témoigne d’une science consommée, d’un travail opiniâtre et des plus rudes efforts. M. Franck sait tout ce qu’on peut savoir, et c’est beaucoup, surtout dans l’état actuel de la musique ; mais cela ne suffit pas, et quand la technique de l’art se sera compliquée encore, dans cinquante ans, dans mille ans, cela ne suffira jamais ! j’entendais l’autre jour les trop fervens disciples de M. Franck comparer, ou plutôt immoler hardiment à la symphonie de leur maître la dernière symphonie de M. Saint-Saëns, et devant de pareils dissentimens, parmi ces hérétiques, hérétique moi-même à leurs yeux, j’en venais à douter que le goût eût ses préceptes et la beauté ses lois. De ces deux symphonies, l’une est la nuit et l’autre le jour ; là on respire à pleins poumons ; ici on étouffe et on meurt. Dans l’œuvre de M. Saint-Saëns, le plan se présente et s’impose tout de suite ; dans celle de M. Franck, il se dissimule et se dérobe. On suit toujours l’idée de M. Saint-Saëns ; elle circule, se divise en mille petits courans clairs et féconds, puis se reconstitue et se rassemble ; mais les mélodies de M. Franck naissent pour se perdre aussitôt, sans qu’une fleur germe sur leur passage. Oh ! L’aride et grise musique, dépourvue de grâce, de charme et de sourire ! Les motifs eux-mêmes manquent le plus souvent d’intérêt : le premier, sorte de point d’interrogation musical, n’est guère au-dessus de ces thèmes qu’on fait développer par les élèves du Conservatoire. Un autre a plus d’allure et de crânerie, mais le compositeur n’en a pas tiré parti.

Le début du second morceau est l’oasis de ce désert. On se sent un instant rafraîchi par un beau chant de cor anglais porté sur les accords pinces des harpes et du quatuor. Un soir peut-être à son orgue, M. Franck aura trouvé cette inspiration presque religieuse, et religieuse sans fadeur ni mystique sensualité. Pourquoi ne l’a-t-il pas suivie ? Pourquoi n’a-t-il pas fait de ce thème heureux tout un morceau, comme a fait d’une mélodie, religieuse aussi, l’auteur de la symphonie italienne ? Parce que M. Franck n’est pas Mendelssohn, et nous ne nous permettrions pas de le regretter si, l’autre jour, un de ses adeptes ne s’était permis de s’en réjouir.

Le finale surtout de la symphonie en ré mineur nous a paru pénible. Il ramène avec rage les motifs des morceaux précédens. De ce système, très en faveur aujourd’hui, peut-être ne faudrait-il pas abuser. Haydn en a usé (adagio et presto du 58e quatuor), et Beethoven après lui ; mais tous deux avec réserve. M. Saint-Saëns a fait de même, avec beaucoup plus d’insistance et dans de bien plus vastes proportions ; mais, dans le finale de la symphonie en ut mineur, les motifs déjà connus (beaucoup