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ou ses déceptions. Presque rien n’en restait. Aussi le type arachovien est-il demeuré l’un des plus purs de la race hellénique, avec quelques mélanges de sang albanais. La culture est pénible ; que faire pousser sur des pentes dont les plus douces n’ont pas moins de 45 degrés ? La vigne et l’olivier, pourtant, y réussissent assez bien. Mais la ressource principale du pays réside dans les immenses troupeaux qui, en été, pâturent sur les hauts plateaux et redescendent, en hiver, pour prendre leurs quartiers dans des zones plus clémentes. Pour ne rien omettre, il faut citer quelques métiers qui fabriquent d’assez jolis tapis. — « Les femmes aussi sont jolies, ajoute le bon démarque ; mais ce n’est plus de l’industrie. » — « Ou du moins pas encore… » — réplique notre collègue de Russie, aimable railleur dont le scepticisme ne fait guère crédit aux mœurs des troglodytes.

Mais arrêtons les frais avant les histoires de brigands qui ne vont pas manquer de faire le tour de la table. La veillée ne saurait être longue. Une grosse journée nous attend, et des forces nous sont nécessaires. Bonsoir donc tout le monde ; bonsoir, et au lit.

Notre sommeil est, d’ailleurs, loin d’être aussi paisible que nous l’espérions, après notre course de la veille. Troublés à diverses reprises par la pluie qui bat nos volets et par les rafales d’une bourrasque d’automne, nous nous sentons assez faiblement gaillards quand il s’agit, vers sept heures du matin, de faire les préparatifs d’une nouvelle étape. Le gros temps est passé, mais il bruine encore et, en vérité, vues à travers cette mousseline humide, les montagnes n’ont rien d’engageant. Attendrons-nous que le soleil ait mis le brouillard en déroute ? Huit jours peuvent s’écouler avant que le village sorte de la brume, de même que nous pouvons trouver un ciel d’azur à quelques kilomètres d’ici. Une raison nous détermine : la mouche à vapeur des travaux de l’isthme nous attend à Itéa, petit bourg sur le golfe de Corinthe, où nous devons arriver dans la soirée. Qu’elle reparte, faute de nous voir paraître, et nous en serions réduits soit à camper comme des naufragés dans un hameau sans ressources, en implorant de la Providence la rescousse d’un paquebot libérateur, soit à courir sur une balancelle tous les risques de la navigation d’Ulysse. En selle donc !

Les mulets sont sous nos fenêtres. Nous retrouvons sous la porte notre bergère que nous avions, la veille, laissée derrière nous dans la nuit ; — souriant toujours du même mystérieux sourire, elle venait saluer son client et lui souhaiter bon voyage. On la décide, non sans peine, à empocher un souvenir. Adieu, bel oiseau bleu ! Adieu aussi au bon démarque, et en avant !