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Et nos amis ? Ils sont en haut qui nous attendent, depuis deux heures, au coin du feu. Nous montons derrière notre hôte, et les questions et les réponses de se croiser dans tous les sens. Nous racontons l’accident, l’oiseau bleu, la halte au khani, nos hésitations dans les ténèbres. Cependant le maire a mis ses lunettes et procède à l’examen méthodique du bras de notre invalide. C’est un homme de haute taille, jeune encore, bien qu’un peu voûte, la tête remarquablement petite, l’œil très intelligent. Il a fait ses études à Paris et s’exprime couramment en français, avec on ne sait quel accent un peu gascon. L’accident est peu de chose, grâce à la vieille bergère, qui n’est ni une fée, ni un oiseau, mais une rebouteuse connue dans le pays. Elle a évité le déboîtement du cubitus à notre compagnon, qui en sera quitte pour la foulure d’un tendon et quinze jours de compresses. Mal connu est, dit-on. à demi battu, et rien ne trouble plus notre joie à l’odeur de fricot qui s’échappe de la pièce voisine. « À table ! dit enfin le démarque. — Oui, à table ! Dieu soit loué ! » Autour de la nappe sont déjà réunis les gros bonnets de l’endroit : le percepteur, l’employé du télégraphe, un ancien officier, figures cordiales qui ne comprennent pas plus notre français que nous ne comprenons leur grec, mais dont la belle humeur fait chorus avec la nôtre. Autour de nous, de braves gens en foustanelle font le service. Excellente, la soupe aux légumes ! Excellent, l’agneau à la palikare ! Excellent, tout ce qui défile et le raisiné dont on l’arrose !

Puis c’est le tour des toasts : « À la France ! À la Grèce ! À notre hôte ! Evviva ! » Pot contre pot ; plus le choc est dur, plus ferme est l’amitié. Entre la poire et le fromage, le démarque nous donne quelques détails sur sa petite province.

Arachovo est un mot slave qui veut dire la ville des noyers. Les noyers ont disparu, mais le nom est resté. Est-ce l’ancienne Ambryssa de Pausanias, ou l’Anémoréia de Strabon ? Quelques débris antiques sont répandus dans le bourg ; un chapiteau ionique est encastré dans un mur d’église. Mais c’est là du gibier d’archéologues ; qu’ils se débrouillent. Quoi qu’il en soit, malgré sa situation presque inaccessible, la bourgade n’a pas été épargnée par les hordes envahissantes qui ont inondé la Grèce. C’est un mauvais poste que le seuil d’un trésor. Romains, Byzantins, Gaulois, Goths. Vandales, Slaves ou Bulgares, toutes les incarnations du pillage, toutes les formes de la rapine ont passé par là. Par là aussi ont passé les lourdes compagnies franques, et plus tard les cavaliers des sultans. Cependant tout n’a fait qu’y passer. Cet âpre pays de ravins et de montagnes ne tentait personne. Le flux apportait la vague humaine, le reflux la remportait avec ses dépouilles