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isolée, difficile à défendre en cas de guerre avec la France ; elle acquérait, au contraire, un pays exclusivement catholique, assimilé d’avance, et contigu à ses provinces de la Haute-Autriche et du Tyrol. Elle compensait et au-delà la perte de la Silésie. Elle s’assurait en Allemagne une prépondérance incontestée avec la possession de la haute vallée du Danube.

Mais plus l’Autriche trouvait d’avantages à cette combinaison, plus Frédéric II devait s’y opposer. Il réussit à alarmer sérieusement la plupart des princes allemands, en leur persuadant que cet échange n’était qu’un premier pas. Joseph II, encouragé par un premier succès, allait confisquer à son profit la liberté allemande et réduire les princes allemands, indépendans de fait, à l’état de simples vassaux. L’habileté de Frédéric II, et, il faut le dire aussi, la maladresse et les ambitions mal déguisées de Joseph II, déterminèrent la plupart des gouvernemens allemands à entrer dans une Ligue des princes, dont l’objet fut le maintien du statu quo dans l’empire. Frédéric II n’avait pas eu l’initiative de cette ligue, mais il en approuva le principe et en prit résolument la direction.

Les deux partis demandèrent à la presse de soutenir leurs prétentions devant le public, et les écrivains politiques combattirent avec passion pour ou centre la Ligue des princes. Pour la première fois depuis longtemps, l’opinion était en quelque sorte consultée sur une question d’intérêt national. Nous devons donc penser que les argumens employés de part et d’autre étaient les plus propres à agir sur les esprits et à emporter leur assentiment. Si l’Allemagne eût été près d’une transformation politique, si l’idée d’un grand changement eût été populaire, si elle eût été seulement agitée, nous en trouverions l’écho dans cette polémique. Mais, sur ce point, les deux partis sont muets. Autant, depuis 1815, les publicistes allemands ont réclamé avec insistance une Allemagne unifiée, redoutable à ses voisins, et capable de revendiquer son rang parmi les grandes puissances ; autant, en 1785, ils étaient unanimes à vouloir que l’Allemagne, dans son intérêt même, restât divisée et morcelée.

Les publicistes qui plaident pour l’Autriche se tiennent en général sur la défensive. Ils s’efforcent de justifier sa politique et de rassurer le public sur les ambitions qu’on lui prête. Évidemment, si. la Bavière et l’Autriche étaient réunies sous un même souverain qui fût en même temps l’empereur, l’unité politique de l’Allemagne aurait fait un grand pas. Mais les adversaires de la ligue se gardent bien de le dire. Ils évitent de montrer les forces de l’Allemagne se concentrant peu à peu dans la même main, et l’empire prêt à redevenir une grande puissance. Ils ment ces projets, ils dissimulent ces espérances. Ils ne les forment peut-être pas, car ils ont en vue, non l’intérêt allemand, mais l’intérêt