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Toutefois, l’influence de Frédéric II se traduisit plutôt par une renaissance littéraire que par un réveil politique. Goethe a raison lorsqu’il voit en Minna von Bernhelm « le plus véritable fruit de la guerre de sept ans. » On applaudissait aux victoires de Frédéric II, mais l’enthousiasme pour son génie n’allait pas jusqu’à désirer de vivre sous sa domination. On aimait à voir dans la Prusse, grande puissance protestante, un contrepoids efficace à l’Autriche catholique ; mais on eut reculé bien loin à l’idée d’une Allemagne unie sous l’hégémonie prussienne. Frédéric II lui-même, cette « réalité couronnée, » comme dit Carlyle, ne s’arrêta jamais à un dessein chimérique qui n’aurait eu aucune chance de succès.

Qui donc songeait alors aux intérêts politiques de l’Allemagne? A peine quelques voix isolées se font entendre, et elles ne trouvent point d’écho. Elles expriment surtout des plaintes et des regrets, elles ne savent ou du moins elles n’indiquent aucun remède à la situation présente. « Nous sommes un peuple, écrit K.-F. von Moser, qu’unit la communauté de nom et de langue ; nous avons un même souverain (l’empereur) et des lois qui déterminent notre constitution, nos droits et nos devoirs... En force et en puissance, nous sommes le premier pays de l’Europe, dont les couronnes royales brillent sur des têtes allemandes. Et pourtant, depuis des siècles, notre situation politique est une énigme, nous sommes la proie de nos voisins et l’objet de leurs railleries. Nous sommes divisés entre nous, et impuissans à cause de cette division : assez forts pour nous faire du mal à nous-mêmes, incapables de nous protéger, insensibles à l’honneur de notre nom, indifférens à l’égard de notre souverain, dedans les uns envers les autres, — un grand peuple, et pourtant un peuple méprisé, — un peuple qui pourrait être heureux, et cependant un objet de pitié. »

Moser met le doigt sur la plaie. Pour découvrir la cause du mal, il remonte jusqu’au caractère même des Allemands. « Chaque nation, dit-il, a un trait distinctif, un mobile qu’elle suit de préférence. Ce qui caractérise l’Allemand, c’est l’obéissance. » Où trouver, dit un autre publiciste, renchérissant sur Moser, où trouver un génie dont les ordres lassent notre servilité? De fait, l’Allemagne fourmillait d’insupportables petits tyrans. Aucun ne se heurte, je ne dis pas à une insurrection, mais seulement à une ferme et respectueuse résistance. L’obéissance au prince, si fantasque ou si odieux qu’il soit, est un dogme auquel nul n’ose toucher : « Obéissez, ne raisonnez pas,)’tel est le premier article du catéchisme politique dans tous les états allemands au XVIIIe siècle. Kant fait un grand mérite à Frédéric II d’avoir dit : « Raisonnez si vous voulez, pourvu que vous obéissiez. »

Ce trait de caractère est assurément remarquable en un temps