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d’esprit pur sans organisme ; d’un autre côté, pour ramener tout à la matière, il faudrait supprimer la pensée. Même exclusivisme dans la méthode et le point de départ. Partir de Dieu ou de l’univers, c’est le panthéisme ; partir de l’homme, c’est le scepticisme. Ici, Lamennais retrouve un instant sa violence d’autrefois pour accabler ce qu’il appelle le psychologisme : « Cette absurde philosophie, dit-il, se résume en une sorte de panthéisme humain qui oblige à considérer dans un même sujet les contradictoires. » C’est imputer d’une manière étrange à la philosophie de Dugald Stewart ou de Jouffroy les conclusions de Hegel.

Pour éviter les contradictions des systèmes exclusifs, il faut accepter comme postulat un principe compréhensif qui contienne déjà les deux élémens du problème, à savoir le fini et l’infini. C’est de cette antinomie primordiale qu’il faut partir : car si l’on part de l’infini, on n’en déduira jamais le fini ; et si on part du fini, on n’en déduira pas davantage l’infini. Il faut poser en principe, comme donnée, la coexistence du fini et de l’infini, de Dieu et du monde, l’impossibilité de prouver l’un par l’autre, et la nécessité de les admettre l’un et l’autre comme des faits. De plus, comme le fini et l’infini ont cela de commun d’être des êtres, il y aura donc un principe qui les contiendra et les embrassera tous deux : c’est la notion de l’être absolu.

La philosophie étant la science de l’être, et à la fois du fini et de l’infini, est donc en réalité la science du tout. Elle comprend Dieu, l’univers et l’homme. Elle est « un système de conceptions dans lequel les phénomènes liés entre eux viennent pour ainsi dire se classer d’eux-mêmes sous nos yeux. » — « Elle est, dit-il encore, la science des généralités ou de ce qu’il y a de commun dans les diverses branches de la connaissance humaine. « Ainsi, Lamennais, en même temps qu’il pressentait l’évolutionnisme, comprenait aussi, comme le positivisme, que la philosophie doit être la synthèse de toutes les sciences ; seulement il s’élevait au-dessus du positivisme, en rattachant cette synthèse à une métaphysique. Sans doute l’idée de faire de la philosophie la synthèse de toutes les sciences n’était pas une idée nouvelle. C’était bien l’idée antique, l’idée de Descartes, de Leibniz ; c’était enfin de la philosophie allemande moderne. Mais en France, cette idée avait été abandonnée d’abord par l’école de Condillac, et ensuite par l’école spiritualiste. M Cousin, ni Jouffroy, ni Maine de Biran n’avaient présenté la philosophie comme une synthèse universelle. V. Cousin, le plus synthétique de tous, s’était borné à une ontologie spéculative assez vague, et avait laissé entièrement de côté la nature et l’univers. L’école théologique, dont Lamennais lui-même avait été un des chefs, n’était autre chose qu’une théologie exotérique, et elle n’avait fait aucun effort pour