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J’avais beau me dire que les choses se passaient ainsi là où j’étais je ne me les figurais pas ainsi là d’où je venais. Ce qui me paraissait tout simple dans le Nouveau-Monde me semblait terriblement compliqué dans l’ancien. J’en concluais, — conclusion commode en ce qu’elle tranche les difficultés et épargne de plus amples recherches, — que les Américains n’ont pas le crâne fait comme le nôtre, et que, comme l’affirme un vieux proverbe anglais, « le remède qui guérit le charron tue le tisserand. »

Allant plus au fond des choses, je finis par me rendre compte par comprendre et par admirer. Pour cela il me fallut du temps, un examen attentif. Je dus étudier le mécanisme, le jeu des rouages, tenir compte d’élémens, identiques d’un côté comme de l’autre de l’océan, mais déviés et faussés par notre civilisation très avancée et quelque peu maladive. Je pus noter les inconvéniens, — car il y en a, — et aussi les avantages de ce système.

Les écoles dont je parle furent, à l’origine, le résultat d’une situation que nous avons indiquée : l’éparpillement de la population, des settlements isolés d’abord, puis peu à peu convergeant vers un centre. Elles furent aussi, par suite des traditions et du tempérament de la race, de l’influence religieuse et des conditions sociales, le résultat d’une conception intelligente et saine, à tout prendre, de la vie. Nous y tendons, en ouvrant nos salles de cours supérieurs, voire même de certaines facultés, aux deux sexes. Nous commençons par un bout, les Américains durent commencer par l’autre.

Leurs débuts furent rudes et grossiers ; on y démêle, sous les traditions anglaises d’alors, passablement brutales en matière d’éducation, comme elles l’étaient d’ailleurs en tout, d’heureuses tendances, encore à l’état rudimentaire, qui se développèrent avec le temps. Les rares documens de cette époque primitive nous montrent comment étaient dirigées ces écoles primaires et communes où filles et garçons, assis sur les mêmes bancs, recevaient ces premières et ineffaçables impressions de l’enfance ; ils nous montrent les châtimens corporels infligés, la férule en honneur et ce singulier appel aux sentimens chevaleresques qui permettait aux jeunes garçons de prendre à leur compte les punitions encourues par leurs compagnes et de s’offrir comme substituts.

M. Richard M. Johnston, professeur à l’université de Géorgie, a laissé, entre autres écrits, un petit croquis pris sur le vif de ces coutumes singulières[1]. Il nous introduit dans l’école de M. Lorriby :

« M. Lorriby, nous dit-il, n’appartenait pas à la catégorie des

  1. Oddities of Southern Life, 1 vol. in-38, Boston ; Houghton, Mifflin et C°.