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soldatesques qui sont déplaisantes chez une femme. » Puis sa coiffure : « Les cheveux crêpés par devant, relevés en arrière à la hauteur d’un pied sur une sorte de casque en fil de fer qu’ils recouvrent sans le cacher, d’où partent des flots de gaze noire descendant jusqu’à la taille, et retenus dans les tresses par un peigne colossal… Elle est énorme, comme son mari ; tous deux passent ici pour le couple le plus monstrueux du Nouveau-Monde… En revanche, hospitalière, accueillante pour les étrangers, donnant fréquemment à dîner, et dîner chez elle est un passeport indispensable à tout nouveau débarqué. »

À l’aristocratie de naissance s’incarnant dans les planteurs du Sud se juxtapose en effet une aristocratie nouvelle, celle du monde officiel qui gravite autour du président et du cabinet, rend ses arrêts et ses décrets sociaux, comme eux leurs décrets administratifs, mais dont l’influence ne dépasse guère les limites de la capitale politique du moment. Monde à part, curieux à plus d’un titre, et que nous aurons l’occasion d’étudier alors qu’il se fixera. Pour l’instant, il ne fait que naître. Le congrès, encore sans résidence fixe, promène de ville en ville son existence nomade, et c’est à grand’peine que dans les plus graves circonstances on peut réunir un quorum. Ces sièges de sénateurs et de représentans, que les partis se disputent aujourd’hui avec une telle âpreté, sont dédaignés. Les distances à franchir sont trop grandes, les frais de séjour trop dispendieux. Pour recevoir la démission de George Washington, on ne réussit qu’au prix des plus grands efforts à réunir vingt congressmen, et encore ne représentaient-ils que sept colonies, nombre minimum requis pour la validité d’un vote.

Une simplicité toute républicaine prévaut, dès le début, dans ce monde officiel, qui se compose des membres du cabinet présidentiel et des représentans étrangers. George Washington est économe, et Mrs Washington. à laquelle les colons du Nord reprochent d’introduire dans la république naissante « le luxe et l’étiquette des cours, » n’offre cependant à ses invités que « du thé, du café, de la langue fumée, des rôties et du beurre. » À neuf heures du soir, elle rappelle que le général « se couche de bonne heure, » et chacun de regagner son logis, à pied, précédé de son porteur de lanterne. Quand le président reçoit officiellement, un laquais annonce les visiteurs ; « Washington salue, mais sans offrir la main ; le cercle se forme, à chacun il adresse quelques mots, puis se retire. On ne saurait rien imaginer de plus glacial[1]. » Mrs Adam, femme du vice-président. Mrs Hamilton, dont Brissot de Warville nous dit « qu’elle joignait à toutes les grâces féminines, la candeur et la

  1. William Sullivan, Familiar letters on public characters.