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sur ce que des fidèles ainsi réunis s’étaient permis de chanter des prières en polonais, « langue prohibée dans ces paroisses. »

Les religieux ne peuvent suppléer à l’insuffisance numérique des prêtres séculiers. La plupart des couvens ont été supprimés à la suite de l’insurrection de 1863. Dans ceux qui n’ont pas été fermés, le nombre des moines ou des religieuses a été limité par un oukaze[1]. Ils ne peuvent plus recevoir de novices ou ils ne sont autorisés à en admettre que si le nombre des religieux est tombé au-dessous d’un certain chiffre. En Lithuanie, les plus beaux monastères ont été enlevés aux catholiques. Ainsi, le couvent de Pojaisk, construit au xvii*’siècle pour des camaldules, est aujourd’hui la résidence de l’évêque orthodoxe de Kovno. En mainte bourgade, le kostël catholique a été coiffé d’une coupole verte et converti en tserkov orthodoxe. Les jésuites, que Catherine II avait recueillis pour leur confier l’éducation de l’aristocratie, sont, aujourd’hui, rigoureusement bannis de l’empire. En 1878-1879, lorsqu’on appela à l’église Sainte-Catherine de Pétersbourg quelques dominicains, le gouvernement eut soin de faire signer par le général des frères prêcheurs que ces religieux étrangers étaient bien des dominicains et non des jésuites. Naguère encore, un savant jésuite d’origine russe, catholique de naissance, se voyait refuser l’autorisation d’entrer en Russie pour faire des recherches dans les bibliothèques.

Une chose m’avait frappé dans les églises de Pologne, c’est que d’habitude le prêtre lisait ses sermons. « Ne vous en étonnez pas, me dit-on, les sermons doivent passer par la censure ; donc il faut les écrire et les lire. » Les mandemens des évêques n’échappent pas non plus aux censeurs. Ce n’est point la seule restriction à la liberté de l’enseignement religieux. Pour la prédication ou pour le catéchisme, le clergé n’est pas toujours libre d’employer la langue de ses ouailles. Autrefois, il était interdit aux ministres des cultes étrangers de prêcher en russe : les laisser prêcher en russe, c’eût été exposer les Russes à leur prosélytisme. Aujourd’hui, le gouvernement enjoint ce qu’il prohibait jadis. Subordonnant les considérations religieuses aux considérations politiques, il cherche à introduire l’usage du russe dans le prône catholique comme dans le prêche protestant. Il fait imprimer en russe des livres de prières romains ou luthériens, au risque d’en mettre les doctrines à la portée au peuple. C’est ainsi que, en certains villages du midi, une édition russe du psautier protestant a servi à la propagande stundiste.

  1. J’ai raconté ailleurs, d’après des documens inédits, comment les couvens de Pologne avaient été fermés en une nuit. Voyez : Un homme d’état russe (Nicolas Milutine), Étude sur la Russie et la Pologne sous le règne d’Alexandre II, chapitre XIII. (Hachette.)