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dans sa lettre à M. Naville, appelle entraver le rapprochement spirituel des indigènes avec la mère-patrie. Pour ce « crime, » nombre de pasteurs ont été révoqués, emprisonnés, déportés. Catholique ou protestant, les clergés hétérodoxes doivent oublier la parabole évangélique et se garder de courir après la brebis arrachée à leur bercail.

Que la Russie cherche à conquérir moralement les conquêtes de Pierre Ier et de Catherine II, les revendications du germanisme sur d’autres frontières semblent l’y inviter ; il n’en est pas moins permis de mettre en doute la valeur de son système de russification. Elle semble poursuivre une assimilation extérieure, matérielle : elle se soucie peu de froisser les sentimens, les mœurs, la conscience de ses sujets d’origine étrangère. Ce n’est point par de tels procédés que la France avait gagné le cœur des Alsaciens, des protestans aussi bien que des catholiques. La politique de russification à outrance risque de tourner contre son but et d’affaiblir, à force de les tendre, les liens qu’elle prétend resserrer. Jusqu’à présent, il y avait dans les provinces baltiques des tendances particularistes ; il n’y avait pas de parti séparatiste. S’il venait à s’en former un, M. Pobedonostsef en aura été un des promoteurs[1].


V.

La plus maltraitée de toutes les confessions chrétiennes tolérées en Russie a été le catholicisme. Il avait à la fois contre lui les préventions du pouvoir et les antipathies du pays. Liée historiquement à la Pologne, comme l’orthodoxie à la Moscovie, la foi romaine a le privilège d’exciter des rancunes et des défiances particulières. Le Russe la redoute presque autant pour sa culture que pour sa nationalité : comme Russe, il combat en elle le polonisme ; comme Slave, le latinisme qui lui paraît étouffer le génie slave.

L’empire russe compte de 9 à 10 millions de catholiques, soit plus que la Belgique et l’Irlande réunies. Leur nombre, en dépit du prosélytisme officiel, s’accroît régulièrement, par le seul fait de l’accroissement de la population. Ces catholiques ne sont pas tous Polonais ou Lithuaniens ; il s’en rencontre encore de Petits-Russiens ou de Blancs-Russiens non polonisés. Beaucoup de ces derniers ne s’en déclarent pas moins Polonais. La confusion que le gouvernement

  1. En dehors des luthériens et des calvinistes, la Russie compte plusieurs colonies de mennonites, ou anabaptistes. Le gouvernement s’est toujours montré libéral vis-à-vis de ces petites communautés, qui ne lui inspirent aucune défiance politique. Une partie de ces mennonites avaient quitté la Russie pour l’Amérique, afin de se soustraire au service militaire, devenu obligatoire pour tous. Beaucoup sont revenus ; le gouvernement, déférant à leurs doctrines, les a exemptés de tout service actif.