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à chaque église, une sorte de synode central pourvu de représentans laïques du pouvoir civil ; chacune a ses consistoires dotés, pour ses fidèles, de fonctions analogues à celles des consistoires orthodoxes pour les Russes du rite grec. La constitution ecclésiastique de Pierre le Grand est une sorte de lit de Procuste sur lequel toutes les églises ont été successivement ajustées ; plusieurs en ont été mutilées.

De toutes les confessions chrétiennes, la plus facile à plier au régime ecclésiastique russe était peut-être l’église arménienne. C’est celle qui, par sa constitution, sa liturgie, sa discipline, se rapproche le plus de l’église grecque. Ce qui sépare les arméniens des grecs, et aussi des latins, c’est qu’ils n’admettent que les trois premiers conciles. Comme ils repoussent le concile de Chalcédoine, grecs et latins les accusent d’être eutychéens ; eux-mêmes s’en défendent. En fait, le différend, quinze fois séculaire, des grecs et des arméniens est moins religieux que politique. Comme presque partout en Orient, ces querelles théologiques masquent des rivalités nationales.

En Russie de même qu’en Turquie, les arméniens tiennent une place supérieure à leur nombre. Ils sont 1 million, peut-être 1 million 1/2, soit environ un tiers des Haïkanes chrétiens, car les géographes sont partagés sur le nombre total des arméniens. La Russie, qui possède chez elle leur chef spirituel, est aujourd’hui la première puissance arménienne. Cela lui donne une prise de plus sur l’Orient. Elle peut, en Asie, s’ériger en protectrice des arméniens, comme naguère, en Europe, des orthodoxes. Au traité de San-Stefano, elle avait déjà eu soin d’insérer une clause en faveur des Haïkanes demeurés sujets turcs. Ce patronage, il lui est aisé d’en jouer à son heure, d’autant que, en n’exécutant pas l’article 61 du traité de Berlin, la Porte a négligé d’élever, entre elle et le Caucase russe, la barrière d’une Arménie autonome.

À défaut d’autonomie ou de liberté politique, la Russie a offert à ces Européens d’Asie la sécurité. Aussi nombre d’arméniens ont-ils émigré des états du sultan dans ceux du tsar, préférant l’ordre russe au désordre ottoman. Le « juif chrétien » a si bien prospéré au Caucase, que j’ai entendu, à Tiflis, exprimer la crainte de le voir arméniser toute la Transcaucasie. Pas plus qu’en Turquie, les arméniens ne sont absorbés par le commerce ; plus d’un s’est distingué dans l’administration ou dans l’armée. Les troupes russes en Asie-Mineure avaient pour chefs, durant la dernière guerre d’Orient, des arméniens, les généraux Lazaref et Loris Mélikof ; et l’on n’a pas oublié de quels pouvoirs était investi ce dernier à la fin du règne d’Alexandre II.

Peu des Haïkanes sujets du tsar sont unis à Rome. La plupart