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leurs besoins. — De même dans l’ordre physique, pour les grands chemins, les digues, les canaux, les bâtisses utiles au public : là aussi il répare ou crée, par la même initiative autoritaire, avec la même économie[1], la même répartition des charges[2], le même concours spontané ou forcé des intéressés, la même efficacité pratique[3]. — Bref, si l’on prend les choses en gros et si l’on compense le pis par le mieux, on peut dire que, grâce à lui, les Français ont recouvré les biens qui leur manquaient depuis 1789 : paix intérieure, tranquillité publique, régularité administrative, justice impartiale, police exacte, sécurité des personnes, des propriétés et des consciences, liberté de la vie privée, jouissance de la patrie, et, si l’on en est sorti, faculté d’y rentrer; dotation suffisante, célébration gratuite et complet exercice du culte; écoles et enseignement pour la jeunesse; lits, soins et secours pour les malades, les enfans trouvés et les indigens ; entretien des routes et des bâtimens publics. Des deux groupes de besoins qui tourmentaient les hommes en 1800, le premier, celui qui datait de la révolution, a reçu, vers 1808 ou 1810, une satisfaction raisonnable,


H. TAINE.

  1. Mme de Rémusat, I, 243. (Voyage dans le Nord de la France et en Belgique avec le premier consul, 1803.) «Dans ces sortes de voyages, il prit l’habitude, après s’être fait informer des établissemens publics qui manquaient aux différentes villes, d’en ordonner, lors de son passage, la fondation, et, pour cette munificence, il emportait les bénédictions des habitans. » — Un peu après, arrivait cette lettre du ministre de l’intérieur : « Conformément à la grâce que vous a faite la premier consul (plus tard, l’empereur), vous êtes chargé, citoyen maire, de faire construire tel ou tel bâtiment, en ayant soin de prendre les dépenses sur les fonds de votre commune, » ce que le préfet du département l’oblige à faire, même quand les fonds disponibles sont épuisés ou appliqués ailleurs.
  2. Thiers, VIII, 117 (août 1807) et 124. 13,400 lieues de grandes routes ont été entretenues ou réparées ; 10 grands canaux ont été entrepris ou continués, aux frais du trésor public; 32 départemens contribuent à ces travaux, par les centimes additionnels qui leur sont imposés : en moyenne, l’État et le département contribuent chacun pour moitié. — Parmi les maux physiques causés par la révolution, le plus visible et le plus grossièrement sensible était l’abandon, par suite la dégradation des routes devenues impraticables, la dégradation encore plus redoutable des digues et travaux de défense contre la mer et les fleuves. (Cf. dans Rocquain, État de la France au 18 brumaire, les rapports de Français de Nantes, Fourcroy, Barbé-Marbois, etc.) — Le Directoire avait imaginé des barrières avec péages sur chaque route pour l’entretenir, ce qui rapportait à peine 16 millions pour 30 à 3.5 millions de dépenses. Napoléon remplace les péages par le produit de la contribution sur le sel. (Décret du 24 avril 1806, art. 59.)
  3. Mémoires, par M. X..., I, 380. « A peine restait-il deux ou trois grandes routes suffisamment viables... Sur les rivières comme sur les canaux, la navigation devenait impossible. Partout les édifices publics, les monumens tombaient en ruine... Si la rapidité des destructions avait été prodigieuse, celle des restaurations ne le fut pas moins. »