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en rentes sur le trésor, environ 17 millions par an. Comme il a la force et qu’il fait la loi, il n’a pas de peine à obtenir ou à se donner quittance; c’est un failli qui a mangé l’argent de ses créanciers et leur jette en aumône 6 pour 100 de leur créance.

Naturellement, il profite de l’occasion pour les mettre dans sa dépendance étroite et permanente, pour ajouter aux chaînes dont l’ancienne monarchie avait déjà chargé les corps qui administrent les fortunes collectives. Toutes ces chaînes, Napoléon les alourdit et les resserre; non-seulement il intervient auprès des administrateurs pour leur imposer l’ordre, la probité et l’économie, mais encore il les nomme, il les révoque, il commande ou autorise chacun de leurs actes, il souffle leurs paroles, il veut être le suprême évêque, l’universel hospitalier, l’unique professeur et instituteur, bref le dictateur de l’opinion, le créateur et directeur de toute pensée, politique, sociale et morale dans tout son empire : avec quelle rigidité et quelle ténacité d’intention, quelle variété et quelle convergence de moyens, quelle plénitude et quelle sûreté d’exécution, avec quel dommage et quels dangers, présens et futurs, pour les corps, pour le public, pour l’Etat, pour lui-même, on verra cela tout à l’heure; lui-même, vivant et régnant, pourra s’en apercevoir. Car son ingérence, poussée à l’extrême, finira par rencontrer une résistance dans un corps qu’il considère comme une de ses créatures, l’église : là-dessus, oubliant qu’elle a une racine propre, profonde et située hors de ses prises, il enlève le pape et le tient captif, il interne des cardinaux, il emprisonne des évêques, il déporte des prêtres, il incorpore des séminaristes dans ses régimens[1], il décrète la fermeture de tous les petits séminaires[2], il s’aliène à jamais le clergé catholique, comme la noblesse royaliste, juste au même moment et par le même emploi de l’arbitraire, par le même abus de la force, par le même retour à la tradition révolutionnaire, à l’infatuation et à la brutalité jacobines, jusqu’à faire

  1. D’Haussonville, l’Église romaine et le premier Empire, t. IV et V, passim. — Ibid., III, 370, 375. (13 cardinaux italiens et 19 évêques des états romains sont transportés et internés en France, ainsi que beaucoup de leurs grands vicaires et chanoines; vers la même date, plus de 200 prêtres italiens sont déportés en Corse.) — V, 181. (12 juillet 1811, les évêques de Troyes, Tournay et Gand sont mis à Vincennes.) — V, 286. (236 élèves du séminaire de Gand sont enrégimentés dans une brigade d’artillerie et acheminés sur Wesel, où une cinquantaine d’entre eux meurent à l’hôpital.) — Mémoires, par M. X..., IV, 358. (Quantité de prêtres de la Belgique, détenus dans les châteaux de Ham, Bouillon et Pierre-Châtel, furent mis en liberté après la Restauration.)
  2. Décret du 15 novembre 1811, art. 28. 29 et 30. (Grâce à M. de Fontanes, les petits séminaires ne furent pas tous fermés; il en subsistait 41 en 1815.)