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des imaginations de toute sorte, qu’on ne doit pas contraindre les travers mêmes, quand ils ne sont point nuisibles, » que, pour certaines âmes, la vie ascétique en commun est l’unique refuge ; si elles ne cherchent que cela, il ne faut pas les y troubler, et l’on peut feindre de les ignorer; mais qu’elles se taisent et qu’elles se suffisent ! — Ainsi repoussent sur le tronc catholique ses deux branches maîtresses, le clergé régulier à côté du clergé séculier. Grâce à l’assistance, ou à l’autorisation, ou à la connivence de l’État, dans ses cadres ou hors de ses cadres, les deux clergés qui, en droit ou en fait, recouvrent l’existence civile, ont aussi, du moins à peu près[1], leur subsistance physique.

Rien de plus : personne ne s’entend mieux que Napoléon à faire, de bons marchés, c’est-à-dire à donner peu pour recevoir beaucoup. Dans ce traité qu’il conclut avec l’Église, il serre les cordons de sa bourse, et surtout il évite de se dégarnir les mains. 650,000 francs pour les cinquante évêques et les dix archevêques, un peu plus de k millions pour les trois ou quatre mille curés de canton, en tout 5 millions par an, voilà ce que l’État promet au nouveau clergé; plus tard[2], il se chargera de payer les desservans des succursales; mais encore en 1807, toute la dotation des cultes[3] ne coûtera au trésor que 12 millions par an; en principe, tout le reste, et notamment le traitement des quarante mille desservans et vicaires, doit être fourni par les fabriques et les communes[4]. Que le clergé s’aide de son casuel[5]; que, pour ses ostensoirs, calices, aubes et chasubles, pour la décoration et les autres frais du culte, il s’adresse à la piété des fidèles ; on ne leur interdit pas d’être libéraux envers lui, non-seulement pendant les offices, à la quête, mais chez eux, à huis-clos, de la main à la main. D’ailleurs, ils ont le droit de lui donner ou léguer par-devant notaire, de faire des

  1. Rœderer, III, 481. (Sénatorerie de Caen, 11 germinal an XIII.) Plaintes perpétuelles des évêques et de la plupart des prêtres qu’il a rencontrés. « Un pauvre curé, un malheureux curé... L’évêque vous prie à dîner, il vous prépare à la mauvaise chère d’un malheureux évêque à 12.000 francs de traitement. » — Les palais épiscopaux sont magnifiques, mais l’ameublement est celui d’un curé de village : dans la plus belle pièce, à peine de quoi s’asseoir. — « Les desservans n’ont pu encore obtenir de traitement fixe dans aucune commune... Les paysans ont voulu avec ardeur leur messe et leur service du dimanche, comme par le passé; mais payer est autre chose. »
  2. Décrets du 31 mai et du 26 décembre 1804, mettant à la charge du Trésor le traitement de 24.000, puis de 30,000 desservans.
  3. Charles Nicolas, le Budget de la France depuis le commencement du XIXe siècle : Dotation des cultes en 1807 : 12,341,537 francs.
  4. Décrets du 2 prairial an XII, du 5 nivôse an XIII, et du 30 septembre 1807. — Décret du 30 décembre 1809 (articles 37, 39, 40, 49 et ch. IV).— Avis du conseil d’état, 19 mai 1811.
  5. Ce casuel lui-même est limité (articles organiques, 5) : « Toutes fonctions ecclésiastiques sont gratuites, sauf les oblations qui seraient autorisées et fixées par les règlemens. »