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son âme la place et l’ascendant que le dogme leur assigne : ils sont redevenus ses guides effectifs, ses directeurs acceptés, seuls interprètes accrédités de la vérité chrétienne, seuls dispensateurs et ministres autorisés de la grâce divine. Sitôt qu’ils peuvent rentrer, il accourt à leur messe et n’en veut point d’autre. Même abruti, ou indifférent et obtus, sans autre pensée que les préoccupations animales, il a besoin d’eux[1]; leurs solennités, les grandes fêtes et le dimanche lui manquent; et ce manque est une privation périodique pour ses oreilles et ses yeux : il regrette les cérémonies, les cierges, les chants, la sonnerie des cloches, l’Angélus du matin et du soir. — Ainsi, qu’il le sache ou qu’il l’ignore, son cœur et ses sens sont catholiques[2] et redemandent l’ancienne église. Avant la révolution, cette église vivait de ses revenus propres ; 70,000 prêtres, 37,000 religieuses, 23,000 religieux, défrayés par des fondations, ne coûtaient rien à l’état, presque rien au contribuable; du moins, ils ne coûtaient rien, pas même la dîme, au contribuable actuel et vivant; car, établie depuis des siècles, la dîme était une charge pour la terre, non pour le propriétaire jouissant ou pour le fermier exploitant ; ceux-ci n’avaient acheté ou loué que défalcation

  1. Archives nationales, Cartons 3144 et 3145, no 1004, missions des conseillers d’état, an IX. — (Rapport de Barbé-Marbois sur la Bretagne.) « A Vannes, j’entrai le jour des Rois dans la cathédrale : on y célébrait la messe constitutionnelle : il n’y avait qu’un prêtre et deux ou trois pauvres. A quelque distance de là, je trouvai dans la rue une si grande foule qu’on ne pouvait passer : ces gens n’avaient pu entrer dans une chapelle déjà remplie, où l’on disait la messe appelée des catholiques. — Ailleurs, les églises des villes étaient pareillement désertes, et le peuple allait entendre la messe d’un prêtre récemment arrivé d’Angleterre. » — (Rapport de Français de Nantes sur le Vaucluse et la Provence.) Un dixième de la population suit les prêtres constitutionnels ; le reste suit les prêtres émigrés et rentrés : ceux-ci ont pour eux « la portion riche et influente de la société. » — (Rapport de Lacuée sur Paris et les sept départemens environnans.) « La situation des prêtres insoumis est plus avantageuse que celle des prêtres soumis... Ceux-ci sont négligés, abandonnés : il n’est pas de bon ton de se joindre à eux... (Les premiers) sont vénérés par leurs adhérens comme des martyrs; ils inspirent un tendre intérêt, surtout aux femmes. »
  2. Ibid. (Rapport de Lacuée.) « Les besoins du peuple en ce genre paraissent se borner en ce moment... à un vain spectacle, à des cérémonies : aller à la messe, au sermon, à vêpres, bon pour cela; mais se confesser, communier, jeûner, faire maigre, n’est commun en pas un endroit... Dans les campagnes où il n’y a pas de prêtres, le magister officie, et l’on est content ; on aimerait mieux des cloches sans prêtres que des prêtres sans cloches. » — Ce regret des cloches est très fréquent et survit même dans les cantons assez tièdes. — (Creuse. 10 pluviôse an IV.) « Ils s’obstinent à replanter les croix que la police arrache; ils rattachent aux cloches, pour les sonner, les cordes que le magistrat ôte. »