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jacobine[1]. — Par ce contraste, on les a attachés à leur clergé, à tout leur clergé, régulier et séculier. Auparavant, ils n’étaient pas toujours bien disposés pour lui; nulle part les paysans n’étaient contens de lui payer la dîme, et, dans les moines contemplatifs, oisifs et bien rentes, l’artisan, comme le paysan, ne voyait guère que des fainéans gras. En sa qualité de Gaulois, l’homme du peuple, en France, a l’imagination sèche et courte ; il n’est pas enclin à la vénération, mais bien plutôt narquois, critique, frondeur à l’endroit des puissances, avec un fond héréditaire de méfiance et d’envie contre tout homme en habit de drap qui mange et boit sans travailler de ses bras. — A présent, son clergé ne lui fait plus envie, mais pitié : religieux et religieuses, curés et prélats, sans toit, sans pain, emprisonnés, déportés, guillotinés, ou, tout au moins, fugitifs et traqués, plus malheureux que les bêtes fauves, c’est lui qui, pendant les persécutions de l’an II, de l’an IV et de l’an VI, les recueille, les cache, les héberge et les nourrit. Il les voit souffrir pour leur foi, qui est sa foi, et, devant leur constance égale à celle des martyrs légendaires, sa tiédeur se change en respect, puis en zèle. Dès l’an IV[2], les prêtres orthodoxes ont repris dans

  1. Archives nationales, F7, 7129. (Tarn, canton de Vielmur, 10 germinal an IV.) « Le peuple ignorant croit aujourd’hui que patriote et brigand c’est égal. »
  2. Archives nationales, F7, 7108. (Doubs, canton de Vercel, 20 pluviôse an IV.) « Lors de la loi de 11 prairial, les prêtres insermentés furent tous rappelés par leurs anciens paroissiens. L’empire qu’ils exercent sur le peuple est si fort qu’il n’est pas de sacrifice qu’il ne fasse, pas de ruse, ni de moyens qu’il n’emploie pour les conserver et éluder la rigueur des lois qui les concernent. » — (Ibid., canton de Pontarlier, 3 pluviôse an IV.) « Dans les assemblées primaires, l’aristocratie et la malveillance ont inspiré au peuple ignorant de n’accepter la constitution que sous la condition de ravoir leurs prêtres déportés ou émigrés pour l’exercice de leur culte. » — (Ibid., canton de Labergement, 14 pluviôse an IV.) « Les cultivateurs les adorent... Je suis le seul citoyen de ce canton avec ma famille qui adresse mes vœux à l’Éternel sans me servir d’un intermédiaire. » — F7, 7127. (Côte-d’Or, canton de Beaune, 5 ventôse an IV.) «... Le fanatisme exerce un empire très puissant. » — (Ibid., canton de Frolois, 9 pluviôse an IV.) et Deux prêtres insermentés sont rentrés depuis environ dix-huit mois; ils sont cachés et tiennent des assemblées nocturnes... Ils ont séduit et corrompu au moins les trois quarts des individus de tout sexe. » — (Ibid., canton d’Ivry, 1er pluviôse an IV.) « Le fanatisme et le papisme ont perverti l’esprit public. » — F7, 7119. (Puy-de-Dôme, canton d’Ambert, 15 ventôse an IV.) « Cinq prêtres, rentrés, y ont célébré la messe : à chaque fois, ils ont traîné à leur suite 3,000 à 4,000 personnes. » — F , 7127. (Dordogne, canton de Carlux, 18 pluviôse an IV.) « Le peuple est si attaché au culte catholique qu’il fait des deux lieues entières pour assister à la messe. » — F7, 7119. (Ardèche, canton de Saint-Barthélémy, 15 pluviôse an IV.) « Les prêtres non soumissionnaires se sont rendus maîtres absolus de l’opinion du peuple. » — (Orne, canton d’Alençon, 22 ventôse an IV.) « Des présidens, des membres d’administrations municipales, au lieu d’arrêter et de faire traduire devant les tribunaux les prêtres réfractaires, les admettent à leur table, les couchent et les rendent dépositaires des secrets de l’administration. » — F7, 7129. (Seine-et-Oise, canton de Jouy, 8 pluviôse an IV.) « Sur 50 citoyens, 49 paraissent avoir le plus grand désir de professer le culte catholique. » — (Ibid., canton de Dammartin, 7 pluviôse an IV.) « La religion catholique a tout l’empire; ceux qui ne l’observent pas sont mal vus. » — A la même date (9 pluviôse an IV), le commissaire de Chamarande (Seine-et-Oise) écrit : « Je vois des personnes faire des offrandes de ce qu’ils appellent le pain bénit et n’avoir pas de quoi subsister. »