ne recouvrent guère qu’un vingtième de leur patrimoine, 100 millions[1] sur plus de 2 milliards. Notez, d’ailleurs, qu’en vertu même de la loi et de l’aveu du Premier consul[2], cette aumône est mal répartie ; les plus besogneux et les plus nombreux demeurent les mains vides: ce sont les petits et moyens propriétaires ruraux, notamment les gentilshommes de campagne, dont le domaine valait moins de 50,000 francs et rapportait 2,000 ou 3,000 livres de rente[3]; un domaine de cette taille était à la portée de beaucoup de bourses; c’est pourquoi, bien plus vite et bien plus aisément qu’une grande terre, il a trouvé acquéreur: presque toujours l’Etat l’a vendu, et désormais l’ancien propriétaire n’a plus rien à réclamer ou à prétendre. — Aussi, «pour beaucoup d’émigrés, » le sénatus-consulte de l’an X « n’est que la permission de mourir de faim en France[4] » et, quatre ans après[5], Napoléon lui-même estime que « 40,000 sont sans moyen d’existence. » Ils vivotent, et tout juste[6] ; plusieurs, recueillis par leurs parens ou leurs amis, sont entretenus comme hôtes ou parasites, un peu par compassion, un peu par respect humain. Tel retrouve son argenterie enterrée dans une cave, ou des billets au porteur oubliés au fond d’une vieille malle. Quelquefois l’acquéreur, très honnête, leur rend leur terre au prix d’acquisition, ou même gratis, si, pendant ses années de jouissance, il y a fait des profits notables. D’autres fois, quand l’adjudication a été
- ↑ Stourm, les Finances de l’ancien régime et de la révolution, II, 459 à 461. — (D’après les chiffres annexés au projet de loi de 1825.) — Il ne s’agit ici que de leur patrimoine immobilier; leur patrimoine mobilier a péri tout entier, d’abord par l’abolition sans indemnité de leurs droits féodaux utiles sous la Constituante et sous la Législative, ensuite par la transformation légale et forcée de leurs capitaux mobiliers en titres sur le grand-livre, c’est-à-dire en rentes sur l’état, que la banqueroute finale du Directoire avait réduites presque à néant.
- ↑ Pelet de la Lozère, Opinions de Napoléon au conseil d’état (15 mars et 1er juillet 1806) : « Un des effets les plus injustes de la révolution a été de laisser mourir de faim tel émigré dont tous les biens se sont trouvés vendus, et de rendre 100,000 écus de rente à tel autre dont les propriétés se sont trouvées encore, par hasard, dans les mains de la régie. Quelle bizarrerie encore d’avoir rendu les champs non vendus et d’avoir gardé les bois! Il eût mieux valu, en partant de la déchéance légale de tous les propriétaires, ne rendre que 6,000 francs de rente à un seul, et faire du restant une masse qui eût été répartie entre tous. »
- ↑ Léonce de Lavergne, Economie rurale de la France, p. 26. (D’après le tableau nominatif des indemnités accordées par la loi de 1825.) — Duc de Rovigo, Mémoires, IV, 400.
- ↑ De Puymaigre, Souvenirs de l’émigration, de l’empire et de la restauration, p. 94.
- ↑ Pelet de la Lozère, Ibid., p. 272.
- ↑ De Puymaigre, Ibid., passim. — Alexandrine des Écherolles, une Famille noble pendant la Terreur, p. 328, 402, 408. — Aux documens imprimés, j’ai pu ajouter des souvenirs personnels d’enfance et des récits de famille.