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citoyens opprimée ou exclue du droit commun : dès le début, les derniers décrets jacobins sur les otages et l’emprunt forcé ont été révoqués : noble ou roturier, ecclésiastique ou laïque, riche ou pauvre, ancien émigré ou ancien terroriste, chaque homme, quels que soient son passé, sa condition, ses opinions, jouit maintenant de son bien privé et de ses droits légaux : il n’a plus à craindre les violences du parti contraire ; il peut se fier à la protection des autorités[1] et à l’équité des juges[2]. Tant qu’il n’a pas enfreint la loi, il s’endort le soir avec la certitude de s’éveiller libre le lendemain, et il s’éveille le matin avec la certitude de faire tout le long de la journée ce qui lui conviendra, avec la facilité de travailler, acheter, vendre, dépenser, s’amuser[3], aller et venir à sa guise, notamment avec la faculté d’aller à la messe et aussi de n’y point aller, si cela lui plaît mieux. Plus de jacqueries, rurales ou urbaines, plus de proscriptions, de persécutions, de spoliations

  1. Archives nationales, 3, 144 et 3,14.5, n° 1,004. (Rapports des conseillers d’état envoyés en mission pendant l’an ix, et publiés par Rocquain. avec des omissions, entre autres celle-ci dans le rapport de François de Nantes.) « Les soins des maires de Marseille ont été assez efficaces pour qu’aujourd’hui un émigré en surveillance et fraîchement débarqué de l’étranger se promène dans Marseille sans être assommé ni assommeur, alternative dans laquelle ils avaient été jusqu’à présent. Cependant, au milieu de cette ville, il y a près de 500 hommes qui ont tué de leurs propres mains ou qui ont été complices des tueurs, aux diverses époques de la révolution... Les habitans de cette ville sont accoutumés depuis si longtemps à être vexés et dépouillés et à être traités comme les habitans d’une ville rebelle ou d’une colonie, que le pouvoir arbitraire ne les effraie pas, et qu’ils demandent seulement qu’on mette leurs vies et leurs propriétés à l’abri des tueurs et des pillards et que leur sort soit toujours confié à des mains sûres et impartiales. »
  2. Rœderer, III. 481. (Rapport sur la sénatorerie de Caen, II germinal an XIII.) — Faber, Notice sur l’intérieur de la France (1807), p. 110, 112. « La justice est un des beaux côtés de la France actuelle; elle est coûteuse, mais on ne peut pas l’appeler vénale. »
  3. Rocquain, ibid.. 19. (Rapport de Français de Nantes sur la 8e division militaire.) « Depuis plus de dix-huit mois, il règne dans les villes un calme égal à celui dont on jouissait avant la révolution. La société et les bals ont repris dans les villes, et les antiques danses de la Provence, suspendues pendant dix ans, égaient aujourd’hui les campagnes. »