Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.

terre : c’est au parlement de discuter et de décider. On ne peut pas dire sans doute que ce discours de la reine, qui a inauguré ces jours derniers la session nouvelle, et qui est comme le thème des prochaines délibérations parlementaires, soit des plus précis et des plus significatifs. Il est certain qu’il ne dit pas tout, qu’il garde le silence, sur des affaires qui ne laissent pas de préoccuper ou d’émouvoir la nation anglaise. Il se tait sur l’action engagée en commun avec l’Allemagne dans les mers de l’Afrique orientale, sur l’imbroglio de Samoa, et les premières explications que lord Salisbury a données en réponse aux pressantes interrogations de lord Granville ne sont pas faites précisément pour éclairer l’opinion. Ces explications ne disent rien ni sur les engagemens ni sur les intentions du gouvernement anglais. Le premier ministre n’en a pas dit beaucoup plus que la souveraine, qui n’a rien dit. En revanche, il y a deux questions que le discours de la reine livre aux discussions parlementaires, celle des armemens médités par le ministère, et l’éternelle question irlandaise. Encore le discours royal est-il plus explicite sur les armemens que sur l’Irlande.

À vrai dire, depuis quelque temps déjà, on aurait pu se douter de ce qui se préparait dans les conseils de la reine Victoria. Dans ces derniers mois, lord Wolseley, qui est un des chefs de l’armée, le ministre de la guerre, lord Stanhope, les chefs de l’amirauté, lord Salisbury lui-même, ont saisi toutes les occasions d’émouvoir le patriotisme anglais, en dévoilant toute sorte de perspectives de guerres formidables et imminentes. Ils n’ont pas dissimulé leurs sombres prévisions et n’ont rien négligé pour préparer la nation anglaise aux sacrifices qu’on se disposait à lui demander. C’était le commentaire anticipé ou l’exposé des motifs d’une proposition de crédits extraordinaires. C’était la préface du dernier discours où la reine dit au parlement que les dépenses croissantes de toutes les nations européennes pour se préparer à la guerre font à l’Angleterre une obligation d’augmenter à son tour ses forces pour assurer la défense de ses côtes et de son commerce. La reine Victoria s’efforce sans doute d’atténuer le caractère des propositions de son gouvernement en déclarant que les hommes d’état, qui sont à l’heure qu’il est les guides de l’Europe, n’ont que des sympathies pour l’Angleterre ; mais, en même temps, elle ajoute que les circonstances peuvent changer, que la volonté pacifique des hommes n’est qu’une garantie fragile, qu’il faut se précautionner, — et en définitive le dernier mot, c’est la nécessité des armemens. Un journal d’une des villes les plus commerçantes de l’Angleterre, de Manchester, n’a pas craint même de donner à ces armemens projetés des proportions presque extravagantes et il n’a parlé de rien moins que d’un emprunt de 2 milliards 1/2 que le chancelier de l’échiquier, M. Goschen, aurait à réaliser pour l’augmentation des forces britanniques. C’est vraisemblablement une exagération, le gouvernement n’a rien dit encore, ni sur la nature