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qu’elle est « active », me permettra-t-il d’avouer que je n’entends guère ce qu’il veut dire ? — mais elle est intéressante, et, ce que M. Paul Lenoir a le mérite au moins d’avoir bien vu, le grand intérêt en est fait de ne pas être neuve, d’être au contraire de tous les temps, née avec l’art lui-même, éternelle, et infinie comme lui.

C’est ce que l’on peut dire, c’est même ce qu’il fallait dire aux aimables dilettantes qui font profession de trouver ces sortes de questions bien oiseuses. Il leur suffit, pour eux, qu’une œuvre leur plaise ; et, qu’importe, après cela, qu’elle soit ce qu’on appelle idéaliste ou naturaliste ? Savent-ils du moins, ou songent-ils que c’est comme s’ils disaient :


Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ?


À quoi l’on pourrait aisément leur répondre : avec la physiologie, qu’il importe tout de même un peu, comme si, par exemple, ils s’enivraient d’absinthe au lieu d’alcool ou de vin : avec la morale, qu’il importe beaucoup, n’y ayant rien qui mette plus de différence entre un homme et un autre homme que la qualité de leurs plaisirs ; et avec l’esthétique elle-même, qu’il importe encore davantage, puisque le plaisir qu’une œuvre nous procure n’a rien de commun avec sa beauté, ni seulement avec sa perfection dans son genre. On rit plus à la Cagnotte ou au Voyage de M. Perrichon qu’au Misanthrope ou qu’au Tartufe ; les Deux orphelines, quoique de deux siècles plus jeunes, ont fait couler plus de larmes, assurément, que Rodogune ou que Britannicus ; et n’est-il pas, en vérité, de l’essence de certains plaisirs, d’être avivés, et comme aiguisés par un peu de dédain pour l’objet auquel nous les devons ?

Mais ce qui est surtout vrai, c’est que ces discussions de principes, quand on consentirait qu’elles n’eussent plus de raison d’être dans le temps où nous sommes, elles ne cesseraient pas pour cela d’en avoir toujours une dans l’histoire. Si l’on a cru presque jusqu’à nous qu’il y avait non-seulement des lois, mais des règles des genres, — et je me dispenserai de prouver qu’on l’a cru ; — si l’on a cru que le génie lui-même ne pouvait se passer tout à fait de les connaître, et, en en reculant les bornes, ou en les violant, de laisser paraître encore qu’il les connaissait ; si l’on a cru enfin que le caractère ou la beauté des œuvres dépendait en quelque mesure de leur secret accord avec de certains principes, qui sont justement ceux autour desquels on se groupait jadis en écoles, il sera toujours plus qu’intéressant d’examiner ces questions « oiseuses. » Car, autant qu’à la critique, elles appartiennent à l’histoire de l’art, ou plutôt à l’histoire générale, à l’histoire naturelle de l’esprit humain. Et l’on peut ajouter qu’en se plaçant à ce point de vue, comme elles deviennent impersonnelles, — je veux