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guérie des maris titrés. Elle épousera, si le cœur lui en dit, son voisin Piquenot... J’abrège, comme on pense, et je gaze. C’est en effet là que se placent deux ou trois scènes, dont je me reprocherais, en les résumant, de ravir la surprise à ceux qui ne les ont point vues. Elles sont de haut goût; et M. Sardou, dans le dialogue, n’a rien omis de ce qu’il y fallait mettre pour les monter de ton. Vous remarquerez que si j’ai nommé Piquenot, je n’ai d’ailleurs rien dit du peintre Olivier Tavel, ni de quelques bonnes amies qui font à Lydie Garousse une cour digne d’elle... Pour un drôle de monde, c’est un drôle de monde.

La direction du Vaudeville a monté convenablement la pièce de M. Sardou. Lydie Garousse est bien meublée; la rosière est insignifiante et fadasse à plaisir; le feu d’artifice, — il y a un feu d’artifice, à la cantonade, — est bien réglé. L’interprétation, généralement bonne, est excellente ou même supérieure en deux points. M. Saint-Germain, à force d’art et de bonne humeur souriante, a sauvé les parties les plus difficiles d’un rôle extrêmement ingrat. Mais Mlle Réjane, elle, a sauvé la pièce, et aussi longtemps que Marquise durera sur l’affiche, ce n’est pas la curiosité, ni le nom même de M. Sardou, c’est Mlle Réjane qui la soutiendra. Si M. Sardou, par hasard, avait fait Marquise sur mesure, à la taille de Mlle Réjane, il n’a pas à s’en repentir, et le public, pour une fois, ne pourrait que s’en féliciter. On n’a pas plus devaient, plus de verve dans l’invention ni plus d’autorité.

Mais je m’avise plutôt, — et si l’on me permet ce mauvais jeu de mots, — qu’en écrivant sa pièce il en aura voulu faire une aux auteurs du Théâtre-Libre, à moins que ce ne soit à M. de Goncourt. Il a voulu leur prouver, aussi lui, qu’il était homme à traiter un sujet plus déplaisant que les leurs, et même à le mieux traiter; que ce n’était pas miracle de scandaliser le bourgeois, mais qu’il fallait encore savoir s’y prendre ; et qu’il ne dépendait que de lui de les passer en hardiesse, et au besoin en inconvenance, comme il faisait en habileté. Importuné, comme tant d’autres, du bruit tous les jours grossissant que l’on mène autour de prétendues « nouveautés, » qui n’en sont point, qui ne sont même que des « vieilleries, » il n’a écrit Marquise que pour se donner le plaisir d’une victoire que trente ans de succès semblaient promettre à son expérience. Dirai-je qu’il a complètement échoué? Non, sans doute; et la preuve, c’est qu’il nous a tenus pendant trois heures presque attentifs à une pièce qui n’existe pas, comme aussi que fort peu d’oreilles ont paru choquées au Vaudeville de ce qui les aurait révoltées ailleurs. Mais il n’a pas non plus complètement réussi.