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froide et calculatrice, ayant toujours été l’une de ses vertus, mais c’est qu’il n’ait pas vu que son sujet n’en était pas un, et qu’il suffisait de l’avoir exposé pour ne pouvoir plus le dénouer sans beaucoup de « ficelles, » un peu de scandale, et nulle vraisemblance. Car, que la fille Lydie Garousse, en quête d’un mari titré, le rencontre en la personne du marquis Campanilla, des Campanilla de Naples, qu’on ne toucherait qu’avec des pincettes, et l’épouse, ou l’achète, nous en avons vu bien d’autres. Mais, à qui des deux M. Sardou a-t-il prétendu que l’on s’intéressât, ou à quoi, dans leur aventure, à laquelle de ses suites; et, ce mariage même, en se concluant dès le premier acte, ne terminait-il pas la pièce avant qu’elle fût commencée? Aussi, pour en faire trois actes, a-t-il fallu que, d’équivoque en équivoque, M. Sardou fît rouler les deux autres sur l’étrange question de savoir si le mariage « se consommerait; » et il aura beau dire qu’assez souvent, au théâtre comme dans le roman, il ne s’agit que de cela ; on lui répondra que tout de même ce n’est pas la même chose. En effet, sans une raison au moins de s’intéresser à Lydie Garousse ou au marquis Campanilla, on ne s’y intéresse point; et, une à une, toutes les raisons qu’il pourrait y avoir de nous intéresser à une fille d’affaires ou à un vieux viveur, — comme si seulement on pouvait soupçonner le second d’être un peu amoureux, ou comme si la première avait un autre motif de se refuser que son goût pour le jeune Piquenot, son voisin, — M. Sardou, avec une habileté prodigieuse et prestigieuse, n’a employé son premier acte qu’à les leur enlever. La fille est vivante et réelle, mais quelconque; le viveur n’a pour lui que d’avoir autrefois « mangé quatre millions avec les femmes ; » ni à l’un ni à l’autre, il ne peut rien leur arriver qui ne nous soit indifférent, ou même qui ne nous écœure.


Qu’ils s’accordent entre eux ou se gourment, qu’importe?


Il n’y a là ni drame, ni comédie, ni vaudeville, et ce n’est qu’une tempête dans un aquarium.

Le premier acte n’en est pas moins un des plus vifs et l’un des plus spirituels que M. Sardou ail jamais écrits. Les « mots » hardis, mais heureux, y abondent : les traits de mœurs et de satire ; et, ce qui vaut mieux, Lydie Garousse et son futur époux, sans parler du père Garousse, y sont dessinés avec une sûreté de main, une adresse, une justesse et un art, qui n’appartiennent qu’à M. Sardou. Plus ami de son talent que beaucoup de mes contemporains, j’ai toujours pensé que les esquisses ou les tableaux de mœurs de l’auteur des Ganaches, de Nos Intimes, des Vieux Garçons, de la Famille Benoiton, de Nos bons villageois, de Divorçons, seraient plus tard des « documens» précieux pour l’histoire