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gradations, par des passages insensibles, ne veulent rien brusquer. Ils se défient des coups de théâtre; ils comptent, pour pacifier le monde, sur l’action lente des parlemens, sur la bienfaisante influence des assemblées électives. Les assemblées, selon les cas, font beaucoup de bien ou beaucoup de mal. M. de Bismarck vantait dernièrement les bienfaits du régime monarchique tel qu’il l’entend. Il disait que les vraies monarchies sont, de tous les gouvernemens, celui qui se dispense le plus facilement de recourir aux voies extrêmes; que leur politique extérieure est plus souple; qu’elles peuvent, sans compromettre leur dignité, se départir de leurs droits, se désister de leurs plus justes prétentions, comme il assure l’avoir fait dans l’affaire des Carolines ; que de telles condescendances et de tels retours sont interdits aux gouvernemens populaires. Il arrangeait les choses à sa façon; mais s’il ne dit pas toujours la vérité, il y a du vrai dans tout ce qu’il dit.

La meilleure raison qu’on ait d’espérer qu’à l’avenir les guerres seront moins fréquentes et plus courtes est l’importance croissante et toujours plus décisive des intérêts économiques. Les changemens qui se sont faits dans la vie des sociétés, le perfectionnement des arts mécaniques, qui permet de travailler plus vite et à moins de frais, l’offre excédant la demande, la production devenue plus facile, plus abondante et obligée de s’ouvrir sans cesse de nouveaux marchés, les peuples étonnés de découvrir qu’ils ont besoin les uns des autres, des nécessités et des désirs jusqu’alors inconnus, des habitudes de bien-être se répandant de plus en plus dans toutes les classes, un adoucissement des mœurs qu’il faut attribuer sans doute aux progrès de la raison publique et des idées humaines, peut-être aussi à l’affaiblissement des caractères, tout cela dispose les nations européennes à sentir davantage le prix comme les douceurs de la paix. Les guerres inutiles, les guerres de conquête ou de magnificence, sont vues de mauvais œil. Les conquérans sont tenus plus que jamais de mentir avec art, de sauver les apparences, de donner de belles couleurs à leurs entreprises, de persuader au monde qu’ils ont le cœur débonnaire et pacifique, qu’on leur met de force l’épée à la main, qu’ils se défendent quand ils attaquent.

Mais la meilleure sauvegarde contre les guerres de conquête est le nouveau mode de recrutement, le service universel et obligatoire, qui les rend plus terribles, plus dangereuses et plus funestes. Commines expliquait, avec sa sagacité ordinaire, la longue durée de la guerre des deux Roses, par l’habitude où étaient les chefs de parti de ménager beaucoup les gens de ri(m : « Leur coutume d’Angleterre, écrivait-il, est que, quand ils sont au-dessus de la