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qu’on n’avait pas prévues et qui ont paru fâcheuses : « Je ne sais pas si elles en découlent nécessairement, disait un homme d’esprit; mais je suis certain qu’elles en dégoûtent. »

Après avoir prêche en 1790 la politique de paix, de désintéressement et d’abstention, la révolution française, par la force des événemens, se convertit à la politique de propagande. Les girondins posent les premiers en principe que, pour sauver la liberté, il faut la répandre sur le monde. Ils déclarent que tous les peuples sont frères, que la France, ayant reconquis les droits de la nature, manquerait à sa mission si elle se refusait à en faire part à ses voisins. Des étrangers, partisans fanatiques des idées nouvelles, la convient à cette généreuse entreprise, Anacharsis Clootz se présente à la barre de l’assemblée législative en qualité d’orateur du genre humain. Il demande que trois armées s’acheminent sur Bruxelles, Liège et Coblentz, pour gagner les bouches de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin : «Les peuples allemands, bohémiens, catalans, allobroges, bataves, germains, secoueront et briseront leurs chaînes avec fureur. » Le 29 novembre, le fougueux Isnard avait représenté à l’assemblée combien il est beau de tirer le glaive pour la justice et de mourir pour la liberté : « Un peuple en état de révolution est invincible. Disons à l’Europe que le peuple français, s’il tire l’épée, en jettera le fourreau, qu’il n’ira le chercher que couronné des lauriers de la victoire. Disons que tous les combats que se livreront les peuples ressemblent aux coups que deux amis, excites par un instigateur perfide, se portent dans l’obscurité; si la clarté du jour vient à paraître, ils jettent leurs armes, s’embrassent et châtient celui qui les trompait. De même, si au moment que les armées ennemies lutteront avec les nôtres, le jour de la philosophie frappe leurs yeux, les peuples s’embrasseront à la face des tyrans détrônés, de la terre consolée et du ciel satisfait. » L’assemblée législative, transportée par cette harangue, en vota l’envoi aux départemens, et M. Sorel a eu raison de dire que jamais « guerre de magnificence » ne fut présentée à une nation sous de plus éblouissantes couleurs, qu’à cette fougue de prosélytisme, à ce besoin d’expansion, à cet amour désordonné de la gloire et des aventures, se mêlait une sorte de prodigalité de cœur et comme une fièvre de vertu.

L’esprit des croisades semblait revivre, la France était le chevalier errant de l’humanité. Il ne s’agissait pas de délivrer le saint-sépulcre, mais d’affranchir l’univers et d’y répandre avec la liberté le parfait bonheur, qui, disait-on, était une idée neuve. La félicité des peuples, voilà la loi suprême. Mais pourquoi faut-il que le bonheur soit, de toutes les choses de ce monde, la plus difficile à définir? Rechercher le souverain bien, a-t-on dit, c’est chercher la