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valait. Etranger à tout aspect humain comme à la crainte du Seigneur, il dit tout haut ce qu’on disait tout bas. Il dépouilla la chenille de son cocon, et la montra nue, telle qu’elle est. — « Vaut-il mieux, disait-il, que le peuple périsse ou que le prince rompe son traité? Quel serait l’imbécile qui balancerait à décider cette question? » Il ajoutait qu’avec quelque surprise que le public lise le récit des traites jurés et rompus, l’intérêt de l’état doit servir de règle aux souverains, qu’un particulier est tenu de garder sa parole, l’eût-il donnée inconsidérément, qu’un roi responsable de l’existence de son royaume ne doit pas hésiter un instant à violer la sienne quand il n’y a pas d’autre moyen de salut : « Apprenez, monsieur le philosophe, qu’il ne faut pas avoir la conscience trop étroite lorsqu’on a la prétention de gouverner le monde. »

Frédéric disait encore « que toutes les garanties sont comme de l’ouvrage de filigrane, plus propre à satisfaire les yeux qu’à être de quelque utilité. » C’est aussi l’avis de M. Milovanovitch. J’ai dit que son livre laissait au lecteur une impression mélancolique; on y voit combien est illusoire l’efficacité des conventions internationales. Ce sont les oiseaux de proie qui gouvernent les affaires humaines, sans avoir d’autre droit, comme on l’a dit, que celui de leur bec et de leurs serres. Plus dangereux encore que les aigles, les faucons et les vautours sont les chats-huans, dont la grave physionomie impose aux naïfs et qui se plaisent à moraliser en plumant leur victime. Risquer ou se cacher, voilà le sort des faibles ; mais, si petit qu’il soit, un peuple ne peut se cacher; on sait toujours où le prendre.

Les puissances avaient garanti l’indépendance de la république de Cracovie ; elles avaient garanti aussi l’intégrité de l’empire ottoman et celle du petit royaume de Danemark. Qu’est-il advenu de leurs promesses? Il n’y a guère que la Belgique et la Suisse à qui on ait tenu parole et dont la neutralité ait été respectée. Encore la Suisse fut-elle menacée en 1847 d’une intervention peu justifiée, et on ne peut nier que la Belgique n’ait couru de grands hasards en 1866. M. Milovanovitch en conclut que non-seulement les traités de garantie sont le plus souvent inefficaces, mais qu’ils peuvent avoir de pernicieux effets, en inspirant à l’état garanti une aveugle confiance, en endormant ses inquiétudes. Il est dangereux de traverser un torrent sur une planche pourrie. Si le Danemark avait eu moins de confiance dans ses garans, qui l’ont abandonné, il eût été plus circonspect, il eût négocié avec le conquérant et en eût obtenu peut-être des conditions plus favorables. Si la Belgique faisait moins de fond sur la garantie donnée à sa neutralité, elle aurait adopté depuis longtemps la loi militaire destinée à accroître sa force défensive. Ses fondateurs, hommes fort avisés, lui représentaient