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qui lient et ceux qui ne lient pas. Le 14 juin 1867, M. Labouchère interpellait le cabinet tory et lui reprochait l’imprudence qu’il avait commise en consentant à garantir avec les autres puissances la neutralité du grand-duché de Luxembourg, après que les Prussiens en auraient évacué la forteresse. Lord Stanley, ministre des affaires étrangères, répondit que l’engagement contracté par l’Angleterre n’était pas sérieux, et il s’attacha à démontrer que, la garantie donnée à la neutralité luxembourgeoise étant collective, toutes les puissances signataires, en cas de violation, pourraient être appelées à agir collectivement, mais qu’aucune ne pourrait être mise en demeure d’agir seule, au refus des autres, que c’était un cas de responsabilité limitée, que les droits ne sont pas des obligations.

Quelques jours plus tard, le premier ministre de la reine expliquait à la chambre des lords que les garanties personnelles obligent les individus, que les garanties collectives reposent sur un engagement d’honneur de toutes les parties intéressées ; mais que, s’il plaît à l’une d’elles de manquer à l’honneur, les autres ne sont tenues que d’en prendre acte et de s’en laver publiquement les mains. Quatre ans auparavant, lord Palmerston, pour se dispenser d’intervenir en faveur des Polonais, avait déclaré à la chambre des communes « que, lorsqu’un traité est conclu entre différentes puissances, sauf le cas d’une stipulation expresse, chacune des parties contractantes a le droit d’imposer par la force l’observation de la parole donnée si elle croit en avoir le moyen, mais qu’elle n’est point dans l’obligation de le faire. » Il est vrai que précédemment, quand la France avait manifesté le désir de profiter de la création du royaume de Belgique pour améliorer sa frontière du nord-est, ce même lord Palmerston s’était montré le rigide et inexorable garant des traités : « Du moment, avait-il écrit, que nous donnerions à la France un potager ou une vigne, tout deviendrait une question de plus et de moins, et nous déserterions les principes. » Il aurait pu ajouter : Nos principes sont nos convenances, et nous sommes les seuls juges de ce qui nous convient.

Les garans les plus honnêtes sont ceux qui respectent les traités, sans se croire tenus de s’imposer aucun effort, aucun dérangement, aucune dépense pour les faire respecter de leurs co-signataires. Les garans malhonnêtes sont ceux qui les violent sans scrupule, et qui, le cas échéant et l’occasion leur semblant favorable, cherchent chicane au garanti, spolient sans façons le petit qu’ils avaient promis de protéger. Les garans malhonnêtes sont toujours des gens inventifs et ingénieux ; ils n’ont pas de peine à colorer leurs iniquités, à sauver les apparences. Ils savent qu’il y a des fraudes