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états souverains ne relèvent que de Dieu et de leur épée, et quand ils le veulent, Dieu se tait et leur épée reste au fourreau.

Les morts vont vite, la mémoire des peuples est courte, et on ne pense plus guère à la cruelle aventure qui termina les jours de la petite république de Cracovie. Les cours de Russie, d’Autriche et de Prusse s’étaient engagées à respecter et à faire respecter en tout temps la neutralité de cette ville libre et de son territoire, où qu’une force armée ne pouvait être introduite sous quelque prétexte que ce fut. Ces dispositions avaient été mises sous la sauvegarde des huit puissances signataires de l’acte final de Vienne. On entendait faire de ce petit pays un véritable paradis terrestre ; on avait décidé « que, placé sous la protection des trois puissances libératrices et unies, il jouirait du bonheur et de la tranquillité en se consacrant uniquement aux arts, aux sciences, au commerce et à l’industrie, qu’il serait l’éternel monument d’une politique généreuse et magnanime. »

Toutefois, dès 1846, un mouvement insurrectionnel ayant éclaté en Galicie, Cracovie fut occupée par les troupes des trois puissances protectrices et annexée à l’Autriche. M. de Metternich allégua que les garantis n’avaient pas rempli les conditions mises à leur indépendance, qu’ils ne s’étaient pas consacrés uniquement à l’industrie, aux sciences et aux beaux-arts, qu’ils avaient participé secrètement aux insurrections, donné assistance aux émigrés polonais, qu’on s’était vu dans la nécessité de les occuper militairement. L’agneau aurait eu sans doute beaucoup de choses à répondre ; mais, pour le mettre hors d’état de raisonner, le loup l’avait croqué sans autre cérémonie. Que firent l’Angleterre et la France ? Elles protestèrent par des actes séparés et on put croire qu’elles allaient se fâcher. « S’il est des puissances signataires du traité de Vienne, avait dit lord Palmerston à la chambre des communes, qui aient intérêt à ce qu’il ne soit pas violé, ce sont les puissances allemandes, et ces gouvernemens sont trop perspicaces pour ne pas avoir compris que, s’il n’est pas bon sur la Vistule, il doit être également mauvais sur le Rhin et sur le Pô. » M. Guizot, de son côté, déclara que la France, à qui les traités de 1815 avaient impose de douloureux sacrifices, avait le droit d’exiger qu’ils fussent respectés des bénéficiaires, qu’autrement elle se croirait autorisée « à ne consulter désormais que le calcul prévoyant de ses intérêts. » Ce fut tout. On avait crié au voleur, on le laissa courir, et il garda son butin.

Les hommes d’état anglais font peu de cas, comme on sait, des vertus chevaleresques et des devoirs onéreux. Ils ont les premiers posé en principe qu’il y a deux sortes d’engagemens, ceux