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est un dogme impie. Il n’y a que Dieu de légitime. — Vous ne me direz plus que l’abbé de Lamennais soit religieux et croyant ? Tous les dogmes de la religion sont renversés dans son ouvrage. — Le conseil des ministres a été réuni. Guizot était pour les poursuites ; de Rigny était contre, non qu’il ne trouvât l’œuvre exécrable, mais parce qu’il craint le scandale et l’inutilité. — Chateaubriand disait en confidence : Concevez-vous que dans mon article j’ai cru aller au-delà de tout ce qu’on pouvait dire, et en voilà un qui me laisse bien loin en arrière ? — Mais enfin, dit Castelbajac, si l’abbé de Lamennais avait lu l’évangile… — Quelle beauté de pensée, quelle perfection de style ! La langue n’avait pas encore offert de pages semblables à l’élégie de la mère et de la fille ! — Quelle fureur dans le chapitre des Rois !.. L’auteur a out-heroded Hérode, comme Shakspeare fait dire à Hamlet. — Ce qu’il y a d’heureux, c’est qu’il est prouvé qu’il est fou, et qu’il sera incessamment aux Petites-Maisons, et j’espère bien que Chateaubriand ne tardera pas à l’y suivre. — C’est un bonnet rouge planté sur une croix ! — C’est l’apocalypse de Satan ! — C’est Babeuf débité par Ezéchiel ! En voilà assez ! et j’en pourrais remplir encore quatre pages. » Après avoir rappelé tous ces jugemens pris sur le vif, et qui éclataient dans toutes les conversations, le baron de Vitrolles poursuivait sur le ton d’une admiration profonde et d’une tendre amitié : « Vous subissez, mon ami, les conditions de votre génie. Il est enfant de la tempête, et vous la suivez au loin sans le savoir. Il y a dans tout cela quelque chose de mystérieux, d’inexplicable pour nous, pour vous-même. Votre cœur et votre esprit ont été dupes de votre imagination ; et quel funeste présent qu’une telle imagination ! Que je bénis le ciel de ma simple et médiocre raison en voyant à quels excès peut conduire ce don fatal qu’on appelle le génie ! Hélas ! les gémissemens, les reproches de mon amitié sont inutiles ; la parole échappée ne saurait revenir. Que Dieu en écarte les terribles conséquences ! »

Telle fut l’impression produite par les Paroles d’un croyant. Ce livre extraordinaire, écrit en style biblique, dont certaines parties, pour l’horreur, peuvent être comparées à l’Enfer de Dante, et d’autres, pour la douceur, à l’Imitation de Jésus-Christ, est un des plus étonnans de notre siècle. Les parties noires ont vieilli, mais les parties pures et sereines sont restées intactes et sont aussi exquises qu’à l’origine. Ce livre est si connu qu’il n’y a rien à en citer. Rappelons seulement que, dans notre littérature chrétienne et évangélique, il n’y a rien au-dessus de la page qui commence en ces termes : « Vous n’avez qu’un jour à passer sur la terre ; faites en sorte de le passer en paix, » et qui contient celle admirable