Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un désaveu. Lamennais reconnaît lui-même qu’il eût cédé à de bonnes paroles ; ce n’était là qu’une question de procédés. Le monde ne peut pas changer d’un jour à l’autre, par cette seule raison qu’un vieux pape timide et entêté n’ose pas traiter franchement une question délicate avec un adversaire redoutable, et n’a pas assez de bonne grâce pour envelopper son mécontentement dans une douce remontrance. En fait, c’était bien la même chose, à savoir la désapprobation, moins l’adresse et la bonté. La cour de Rome n’a rien de sentimental ; elle ne peut pas traiter d’égal à égal avec un fils rebelle. Elle ne dit rien, cela suffit, c’est à lui à comprendre ; car, si on avait voulu l’approuver, pourquoi ne le lui eût-on pas dit ? Déclarer ouvertement, malgré ce silence désapprobateur, que l’on allait reprendre l’Avenir, c’était un défi : c’était provoquer un jugement beaucoup plus grave que celui qu’on avait demandé. Le silence pouvait encore, à la rigueur, autoriser, sinon un journal à tendances déclarées, au moins une défense indirecte et mitigée d’un catholicisme libéral ; ce qui le prouve, c’est que les amis de Lamennais ont pu continuer à suivre cette ligne sans encourir ouvertement aucun blâme. Ce n’est que beaucoup plus tard que le catholicisme libéral s’est vu tout à fait désavoué à Rome, lors du Syllabus de Pie IX, et encore, sous une forme tellement équivoque, que ses partisans, tout en se soumettant, ont trouvé moyen de garder toutes leurs opinions. Mais une telle latitude de conduite n’est pas le fait d’un apôtre. Un apôtre ne pactise pas. Il va droit devant lui. Lamennais, en partant de Rome, avait donc semé le germe de la tempête qui devait éclater bientôt. L’auteur d’un récit récent sur l’École ménaisienne, l’abbé Ricard, nous raconte, sur des renseignemens qui paraissent pris à de bonnes sources, tout le détail de cette nouvelle phase des affaires de Rome. À Munich, par où Lamennais avait passé en revenant en France, afin de se mettre en rapport avec la petite église catholique de cette ville, il revit Lacordaire, dont il était séparé depuis plusieurs mois. Celui-ci, paraît-il, par ses pressantes objurgations, avait fini, — c’est lui-même qui le raconte, — par persuader son vieux maître. « La paix était faite, ajoute l’abbé Ricard. C’était le 29 août ; le lendemain, 30 août 1832, devait être la grande date de la seconde vie de Lamennais. C’est au milieu d’un dîner que la foudre éclata. Les écrivains et les artistes les plus éminens de Munich avaient offert un banquet aux trois voyageurs. La réunion était animée, cordiale. L’un des présidens de la table venait de boire à l’union des catholiques de France et d’Allemagne. Un domestique s’approche de Lamennais, lui dit quelques mots à voix basse. Lamennais quitte la table. On fait silence. Peu d’instans s’écoulent. Lamennais revient,