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lui-même et cherchant à réconcilier l’église avec les principes de la liberté moderne : c’est le rédacteur du journal l’Avenir et l’initiateur du mouvement considérable appelé depuis le catholicisme libéral.

Comment cette phase nouvelle a-t-elle pris naissance ? Comment l’ennemi aveugle et fanatique des principes de la révolution est-il arrivé à invoquer ces principes dans l’intérêt de sa cause, comment l’apôtre déclaré de l’église s’est-il fait l’associé du libéralisme ? Il y a là un problème des plus intéressans à résoudre. On a cru généralement que ce changement était dû à la révolution de Juillet, que la vive imagination de Lamennais avait été frappée et entraînée par cette révolution qui avait fait en Europe une impression si profonde. Ayant vu la chute des rois, il se serait tourné vers les peuples, c’est-à-dire vers la puissance nouvelle qui se manifestait. Les choses ne se sont pas passées ainsi ; il n’y a pas eu dans la vie et dans la pensée de Lamennais le changement brusque et la rupture absolue que l’on suppose. Il s’est fait en lui un changement lent et gradue !, dont les premières traces se font sentir bien avant la révolution de Juillet, et déjà dans les dernières années de la restauration ; et l’on peut dire que la phase nouvelle qui a tant étonné les contemporains n’a été que le développement logique de sa pensée.

Au début du gouvernement de 1814 et de 1815, il y eut de fait deux restaurations ; deux pouvoirs oubliés, l’un proscrit, l’autre opprimé pendant toute la durée de la révolution et de l’empire, étaient à la fois rétablis. C’était ce que l’on a appelé le trône et l’autel. À l’origine, ils avaient un intérêt commun ; ils durent nécessairement s’unir, et le triomphe de la royauté parut être en même temps le triomphe de l’église. Mais cette union des catholiques et des royalistes n’était point du tout l’identification des deux élémens. Les uns se montrèrent plus royalistes que catholiques, les autres plus catholiques que royalistes. Lamennais fut de ces derniers. Ce qu’il appelait restauration n’était pas seulement ni même surtout le rétablissement du pouvoir royal. C’était la restauration morale et spirituelle de la société. Pour lutter contre la libre pensée, principe de toutes les révolutions, il croyait que le catholicisme devait redevenir le maître des âmes, le principe moteur de tout l’ordre politique et civil, et il comptait pour cela sur le gouvernement qui devait être purement et simplement l’instrument de l’église et le ministre de Dieu. Mais le pouvoir civil, même royal, même légitime, même catholique, n’était pas trop disposé à entrer dans cette voie au-delà d’une certaine limite. Il était d’abord lié et retenu par les conditions mêmes de la société nouvelle ; la liberté