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luxe des maisons des villes, on a rendu tout commode dans l’aménagement et fait en sorte qu’on puisse « se mouvoir sans malaise. » La recherche de ce que nous avons appelé depuis le confortable est visible. Rien n’est idéalisé, malgré le charme, et le bon vilain non plus que le reste. On nous dit que la muraille était de « belle terre détrempée, avec de beau foin que le paillard avait robe (dérobé) de belle nuit pour faire cette maison en belle heure. » Quelle désillusion ! Nous pouvions croire être entrés dans un asile d’innocence. Mais ces petits larcins n’étaient pas très rares entre voisins. Le manuscrit de Gouberville nous avait déjà édifiés sur ce chapitre.

D’autres signes d’aisance nous sont montrés dans cette visite, que nous abrégeons fort, chez ce paysan des environs de Rennes. On y voit du linge ; une serviette enveloppe le pain. Cette table est appétissante, encore couverte des restes du dîner, et elle invite nos promeneurs à y prendre part. Ils s’extasient sur « le bon pain frais » et sur le lard. Le mobilier, de même, donne l’idée d’un certain bien-être intérieur. On ouvre devant nous le coffre où sont placées, « en élégante disposition, » les bardes du fermier : chapeau, gibecière, ainsi que la ceinture bigarrée et demi-ceint de sa femme, entremeslée d’odorante marjolaine. » Quant au lit du bonhomme, près du foyer, clos et fermé, et de plus assez haut perché, la Bretagne nous en montre encore l’analogue. Les sièges et chaises de bois sont simples, mais solides et faits de « pièces bien rapportées. » On ne quitte pas la ferme sans avoir jeté un coup d’œil sur les étables des vaches. Enfin, un peu de morale intervient encore, sous forme d’apologue, à propos des araignées qui avaient élu domicile dans un endroit de la maison. Belle occasion d’expliquer pourquoi la goutte habite les cours des grands seigneurs et « l’hyraigne » la maison des pauvres. Cet apologue bien connu a ici plus de saveur que de grâce. Un peu de bouffonnerie s’y mêle avec un plaisant emploi de la langue du palais. Du Fail y met fort drôlement en scène Jupiter et la mythologie. La fable de l’aragne, telle qu’il nous la conte, c’est le miel mêlé de cire ; La Fontaine nous donnera le miel pur.

Quelle que soit l’image qu’on nous présente de la situation de ces paysans dans les conditions les plus favorables, n’oublions pas le revers de la médaille. Demain, ce sera peut-être la disette; un autre jour, ce sera l’invasion. Pas n’est besoin que ce soit celle de l’ennemi du dehors pour porter partout l’alarme et le danger: Noël Du Fail ne l’ignorait pas. Il avait beau aimer le régime sous lequel il vivait, il en savait les misères, au moins quelques-unes des plus redoutées du paysan. Il nous montre une troupe