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leurs fuseaux avec plus de grâce. » S’il en tombait un, il y avait confiscation rachetable d’un baiser, et bien souvent il « en tomboit un de guet-apens ou propos délibéré, et les amoureux d’un ris badin se faisoient fort requesrir de le rendre. » Les libertés trop émancipées étaient arrêtées par de bonnes vieilles qui faisaient la garde ou par le maître de la maison, « couché sur son costé en son lict bien clos. » L’auteur, dans ce même endroit, emprunté aux Baliverneries, nous informe que ces privautés allaient beaucoup plus loin en Allemagne, où garçons et filles, dans les veillées, se couchaient fort près l’un de l’autre « sans note d’infamie, » et par là se préparaient de très bons et heureux mariages. Mais un interlocuteur plus sceptique se permet de dire qu’il ne trouve pas grande sûreté dans de pareils rapprochemens, même chez les Allemands, qui, « ayant desgénéré et perdu leur première et rustique naïveté, sont tout francisez, espagnolisez et italianisez. « Avouons que naguère encore quelques cantons de la Vendée nous offraient le spectacle de familiarités licencieuses qui n’a rien à envier à ce qu’on peut supposer de ces anciennes coutumes entre les jeunes gens des deux sexes dans les pratiques du maréchinage.

Du Fail nous montre, à propos de ces soirées villageoises, des traits de mœurs véritablement grossiers et brutaux que le temps présent peut laisser au passé sans le moindre regret. On aimait à se jouer les plus vilains tours. On s’égayait du mal arrivé au prochain, attiré dans des pièges préparés avec une sournoise habileté. Hérisser d’épines les échelles placées le long des haies pour aider à les franchir, de telle sorte que ceux qui venaient le soir se piquaient les mains avec effusion de sang, « pleurs et ris, in eodem subjecto; » nouer des genêts qu’on attachait en faisceau au travers des routes, de manière à causer des chutes douloureuses et qui n’étaient pas sans danger; puis, quand les gens arrivaient, leur demander hypocritement, « en faisant les simples et les marmiteux, » s’ils avaient fait bon voyage, et enfin, en voyant leur visage déconfit, « s’esclaffer de rire, » tels étaient les aimables amusemens chers à ces bons villageois. Ces tours, qu’on qualifierait aujourd’hui de tours de malins singes, les plus rustiques eux-mêmes se les permettent moins pour les autres, et il est à croire que pour eux-mêmes ils se montreraient moins endurans. Au reste, on ne l’était pas toujours. Les fâcheries s’ensuivaient et les représailles. On aimait dans ces assemblées, et le goût n’en est pas tout à fait passé de mode, à se faire d’horribles peurs. Tel, sous un prétexte quelconque, répandait tout à coup la panique. On s’enfuyait, chapeau en main, « criant miséricorde, » renversant et rompant tout ce qui se trouvait sur le passage. Les femmes et les filles de