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Ainsi maître Anselme nous apprend qu’on était moins simple dans le costume que de son temps, où on se contentait d’une « robe de bureau, calfeutrée à la mode d’alors, celle pour les festes et une autre pour les jours ouvriers, de bonne toile doublée de quelque vieux saye. » Ailleurs Du Fail accusera la jeunesse d’être devenue plus dissolue dans les campagnes. « Quoi ! l’aage de dix-huit ans est blâmé quand nentretient les dames, ne muguette les filles, ne faict le brave, le mignon. » On était aussi moins mobile et moins ambitieux naguère, plus renfermé dans son affaire et partant plus heureux. Les pères « entretenaient leur famille en liberté et tranquillité louable. » On ne s’occupait que de savoir ce qu’avait valu le blé à Lohéac, ou telle autre chose de même sorte. Grâce à ce manque de souci, on s’en revenait le soir « aux rais de la lune, » devisant sur les nids ou les neiges d’antan, racontant sa journée en cherchant à se faire rire les uns les autres. Aujourd’hui, c’est à qui veut devenir « ou notaire ou priseur, ou témoin synodal, » ou telle autre profession. Il n’est pas jusqu’à cet autre point, qui ne soit touché dans ces mêmes propos ; la diminution du sentiment religieux, l’affaiblissement du respect pour l’âge et l’expérience. Peu s’en faut que le reproche d’égoïsme ne soit de même proféré; il n’y a guère que le mot qui manque. Dans l’intervalle que représente le temps écoulé entre la jeunesse et la vieillesse de l’interlocuteur, c’est-à-dire sans doute un demi-siècle environ, les mœurs étaient devenues moins hospitalières, à en croire l’orateur villageois et à s’en fier à l’approbation qui accueille ses paroles. Alurs on trouvait toujours quelqu’un dans un village pour inviter à la moindre fête les gens du pays à venir manger sa poule ou son jambon, tandis qu’aujourd’hui on vend tout, jusqu’à ne permettre à poules ni oisons de venir à perfection. Si on ne les vend, on les porte à « monsieur l’advocat ou monsieur le médecin. personnes en ce temps presque incogneues, » et pourquoi? pour faire déshériter ou mettre en prison son voisin, ou pour guérir de maladies, que « Tiphaine le Bori guérissoit sans tant de barbouilleries. » Peut-être un juge moins prévenu se serait-il demandé si substituer le médecin au sorcier était un si grand mal, et si l’intervention des gens de loi plus fréquente ne tenait pas à un plus grand mouvement dans les ventes de propriété qui attestaient un accroissement de la richesse. Que d’ailleurs ces progrès coïncidassent dès lors avec quelque affaiblissement de la moi-alité dans une minorité encore restreinte des populations, cela n’a rien que de vraisemblable. L’époque des Valois a plus profité à la civilisation qu’à la morale.

Il est remarquable qu’on ne voie aucun de ces personnages prendre en main la cause du présent. Cela eût trop répugné sans