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point n’était pas facile à éclaircir. Après avoir cru, au début de ses études, qu’il n’était pas marié, le savant biographe, mieux informé, déclare qu’il l’était. Il cite les circonstances et les noms. Il n’y a donc plus à douter. Du Fail a du reste peint ses propres hésitations sur ce grave sujet. Il nous en a fait confidence en nous montrant les perplexités d’un des interlocuteurs de ses Contes et Discours, de son autre lui-même, Eutrapel. Un de ses personnages, Polygame (le prête-nom de son frère François), lui conseillant de se marier, il regimbe et ne finit par s’adoucir un peu qu’en déclarant « qu’il la lui faut belle, bonne et riche. » Sur quoi, l’autre : « Belle, bonne et riche, voilà trop d’affaires, c’est assez pour trois mariages ! Un seul sujet ne pouvant réunir tant de perfections, « prenons-la bonne ! » Après maintes dissertations, qui semblent annoncer La Fontaine et Molière, sur le mariage et les femmes, Eutrapel se convertit à cette idée d’avoir « une femme bien instruite sous l’aile de sa mère, de même condition, douce, paisible, et qui n’entreprenne rien hors les affaires domestiques, en toute obéissance. » Du Fail trouva-t-il ce trésor en la personne de Jeanne Perraud, qu’il épousa, avec laquelle il vécut trente-huit ans, et qui devait lui survivre? L’histoire se tait sur les points de bonté et de beauté, mais nous savons qu’elle était assez riche et suffisamment noble. Heureux Du Fail ! le voilà renté et titré. A ses domaines de Château-Létard et de La Hérissaie, il ajoute désormais la terre de La Morlaie et la seigneurie d’Andouillé, et il peut faire figurer ses armes sur la maîtresse vitre de l’église de ce dernier village! Mais cette satisfaction de vanité ne l’empêchait pas de chercher dans ses domaines des jouissances où l’opinion n’entrait pour rien. Il aimait ses arbres, ses champs, ses jardins. Il goûtait certaines occupations de l’existence rurale ; il en savourait les plaisirs. Il était heureux au milieu de ces populations dont le rapprochait son fonds de gauloiserie, et qu’il observait avec un mélange de sympathie et de malice railleuse.

Il a fait lui-même de ses projets de retraite à la campagne et de sa maison de La Hérissaie une description charmante. Ces pages, il les donnait pour conclusion à ses Contes et Discours en faisant parler Eutrapel. Nulle part il ne peint mieux lui-même ses goûts champêtres. En s’abandonnant à ce rêve de retraite studieuse, il se montre « se laissant aller où son humeur et naturel le conduisent, et où il se sent couler, à mesure que ses ans peu à peu s’en vont et se dérobent. » C’est à sa maison des champs qu’il se laisse ainsi aller doucement. « Je l’ay, dit-il (car pour le faire connaître et pour apprécier son vieux langage, il est ici nécessaire de citer), je l’ay accommodée et rendue aux termes d’une vraye habitation philosophale