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d’autorité officielle. Nous espérons en donner la preuve en appelant en témoignage un vieil écrivain dont on s’est assez peu occupé à ce point de vue. Nous reconnaîtrons pourtant que son récent édiditeur et biographe, M. Arthur de La Borderie, ne s’est pas borné à le juger littérairement. Il a nettement indiqué cette valeur de document, qu’il reste à établir d’une manière plus complète. Il est d’ailleurs trop facile de comprendre que Noël Du Fail n’ait guère été considéré par ce côté. Il a voulu être un écrivain avant tout, et c’est un écrivain, en effet, inégal sans doute, mais souvent excellent et même exquis en plus d’un endroit, si on l’envisage comme peintre de genre. En tout cas, il n’y a pas lieu de s’étonner que Sainte-Beuve se borne, en quelques lignes de son Tableau de la poésie française au XVIe siècle, à rattacher Noël Du Fail au mouvement de littérature rabelaisienne qu’avait suscité le prodigieux succès de l’auteur de Pantagruel. Selon l’illustre critique, « les Baliverneries ou Contes d’Eutrapel, avec les Bases et finesses de Ragot, capitaine des gueux, par Noël Du Fail, seigneur de la Hérissaie, sont des opuscules en prose de la force de Villon, de Faifeu ou des Cent Nouvelles, et dont la lecture peut procurer plaisir, sinon profit, aux amateurs de littérature facétieuse qui pèchent volontiers en eau trouble. » C’est en effet le côté le plus en vue, particulièrement dans les écrits indiqués ci-dessus. Il n’est pas douteux que Du Fail ne soit un des représentans les plus déclarés de cet « esprit de malice au bon vieux temps » que Sainte-Beuve personnifie dans le même ouvrage sous la figure d’auteurs comme La Monnoye, Grosley et d’autres. Il est le digne contemporain de toute une lignée d’esprits restés foncièrement gaulois et fidèles à la tradition de nos fabliaux au milieu de la renaissance des lettres antiques. On ne saurait d’ailleurs oublier que ce caractère de gauloiserie, de plaisanterie portée parfois jusqu’à la bouffonnerie, est loin d’exclure toujours chez eux le sérieux et la largeur d’esprit. Les preuves en sont trop nombreuses et trop connues dans cette ancienne littérature pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Nous ne pensons donc pas que le tour plaisant donné à ses écrits par Noël Du Fail doive nous masquer ce qui peut s’y trouver de profitable pour l’histoire des mœurs, et nous croyons que le savant éditeur des Propos rustiques n’a rien dit de trop lorsqu’il écrit dans son introduction : « Bien que les œuvres de Du Fail, sauf son recueil d’Arrêts, soient habituellement rangées dans la littérature facétieuse du XVIe siècle, on ne peut sans injustice confondre leur auteur avec les écrivains facétieux de ce temps et voir en lui simplement un conteur grivois... Il est avant tout un observateur, un peintre de mœurs... Sans chercher à idéaliser, sans voiler le laid ou le trivial, il peint, il conte ce qu’il voit, avec un art singulier de