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s’étant soulevée sur ces entrefaites, Açoka envoya Kounâla pour y rétablir l’ordre; sa vue suffit à calmer les rebelles, et il y resta comme gouverneur. Cependant Açoka se trouva atteint d’une horrible maladie; seule Tishyarakshità sut le guérir. Dans sa reconnaissance, le roi lui accorda un vœu.. Elle demanda le pouvoir royal pour sept jours. Le premier usage qu’elle en fit fut d’expédier à Takshaçilâ, au nom du roi, une lettre qui enjoignait d’arracher les yeux à Kounâla. Les habitans hésitaient à exécuter un ordre si barbare sur un prince dont ils aimaient les vertus. Il commanda lui-même aux bourreaux d’accomplir leur terrible besogne. Et quand plus tard il apprit que son supplice était l’œuvre de Tishyarakshitâ, il ne trouva que des bénédictions pour celle qui lui avait procuré une si belle occasion d’avancer dans la sainteté par la patience. Cependant Kounâla, accompagné de sa femme, la fidèle Kântchanamâlâ, était sorti de Takshaçilâ. Il ne savait d’autre métier que chanter et jouer de la vînâ. Il alla par les chemins mendiant sa nourriture et la payant de ses chansons, tant qu’il arriva à la porte du palais de son père. Abrité sous une remise, il touchait de la vînâ au point du jour. Açoka s’émeut de cette voix et envoie chercher le musicien ; dans ce mendiant aveugle le garde ne pouvait reconnaître le prince Kounâla. C’était bien lui pourtant ; en le retrouvant misérable et défiguré, Açoka, qui ignorait tout, s’affaisse sans force. Revenu à lui, il couvrait son fils de caresses et de larmes. Ce fut au prince à le consoler, à lui rappeler que ce malheur devait être le juste fruit de quelque faute passée. Cependant, le roi finit par découvrir l’auteur du crime. En vain le prince intervint en faveur de la coupable. Ses mérites lui valurent de recouvrer la vue, mais il ne put sauver la reine : elle fut condamnée à périr par le feu.

L’aventure de cette Phèdre indienne n’est point unique ; l’épopée en connaît des versions parallèles. Mais c’est un autre souvenir qui s’impose ici à l’esprit.

Il y a longtemps que l’on a rapproché du rôle d’Açoka celui que, en Occident, Constantin a joué dans l’histoire du christianisme. Cette ressemblance avait-elle déjà frappé les Indous? Était-elle devenue assez familière à quelques-uns d’entre eux pour faire trans- porter au roi de Pâtalipoutra des récits qui d’origine appartenaient à l’empereur de Constantinople? Ce qui est certain, c’est qu’il est impossible de ne point rapprocher ce conte du drame de famille qui assombrit les dernières années de Constantin. Le meurtre d’un fils longtemps favori, Crispus, sur des prétextes que le bruit public, au moins, emprunta à la fable de Phèdre et d’Hippolyte; puis bientôt, par un retour soudain, cette mort vengée par l’exécution