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Tous les procédés du conte et cette exagération propre à l’optique populaire : Açoka a élevé des colonnes, a gravé des inscriptions ; il faut qu’il ait édifié quatre-vingt-quatre mille stoupas en un seul jour. Il a fait la guerre : il faut qu’il ait été un monstre de cruauté. Ainsi partout.

Açoka prend la conquête du Kalinga pour texte d’une exhortation. C’est le tour ordinaire de la prédication bouddhique : tout conte, toute légende s’y transforme en exemple moral. C’est ainsi que la littérature bouddhique s’est incorporé tout le trésor des fables de l’Inde et l’a marqué à son coin, avant de le jeter dans la circulation universelle. Les vieux mythes, les traditions épiques, tout, sous la main des rédacteurs bouddhiques, devient matière à exhortation, se tourne en traits édifians. C’est que les rédacteurs de cette littérature sont des moines : la préoccupation religieuse les domine uniquement.

L’histoire d’Açoka offrait à l’imagination pieuse le terrain le plus fécond. Açoka était la plus illustre conversion du bouddhisme; ne fallait-il pas, pour la gloire de la religion, que cette conversion marquât dans la vie du roi un changement profond, radical ? On noircit le passé sans mesure : à Dharmâçoka à « Açoka le pieux, » on opposa Tchandâçoka, « Açoka le cruel. » Parti sur ce thème, on fit si bien, que l’on en arriva à dédoubler le personnage; et la légende des bouddhistes méridionaux a ainsi créé de toutes pièces, cent ans avant l’Açoka historique, un autre Açoka, « le Noir, » ou « le Méchant, ».une antithèse faite homme.

Cependant, à tout prendre, la tradition littéraire, mi-partie contes populaires, mi-partie légendes monastiques, reflète encore avec une fidélité relative la physionomie du rôle historique qui fut celui d’Açoka. Ne garde-t-elle pas jusque dans certains traits déformés la trace lointaine de souvenues authentiques? Quand la légende nous montre Açoka ordonnant à ses ministres, qu’il veut éprouver, de brûler les arbres fruitiers et de respecter les arbres épineux, comment ne pas songer au soin que prenait le roi, et que nous attestent les inscriptions, de répandre jusqu’au-delà de ses frontières les arbres utiles, les plantes médicinales?

Parmi les récits conservés par les bouddhistes du Nord, il en est un qui échappe à l’analogie de tous les autres. Il mérite d’être cité, car il pose un curieux problème ; le voici en deux mots.

Açoka avait eu de la reine Padmavatî un fils que la beauté de ses yeux fit comparer à l’oiseau kounâla; il en prit son nom. Un jour, Tishyarakshitâ, la première des femmes du roi, rencontrant le prince seul, s’éprit pour lui d’une passion soudaine. Repoussée avec indignation, elle ne songea plus qu’à se venger. La ville de Takshaçilâ