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l’histoire si défigurée qu’elle y soit, l’histoire peut y avoir jeté quelque reflet. L’histoire vraie, nous en tenons les éléments essentiels de la bouche même de l’acteur principal.

A prendre les faits en gros, dans leur signification générale, que nous ont appris sur Açoka ses inscriptions? Qu’il fut le maître d’un puissant empire; qu’élevé dans le respect des brahmanes et l’adhésion aux pratiques brahmaniques, il se convertit au bouddhisme sous l’impression très forte qu’il reçut des violences déchaînées par une guerre terrible ; que cette conversion marqua le déclin de la puissance des brahmanes ; que, sous l’impulsion de sa croyance nouvelle, il répandit partout le témoignage de son zèle, les inscriptions exhortant ses officiers et son peuple à la pratique de toutes les vertus; qu’il distribua et fit distribuer par les siens des aumônes infinies; que son zèle ne fit que s’accroître avec le temps; qu’il se préoccupa d’étendre parmi les religieux la connaissance et la méditation des discours attribués au Bouddha ; qu’il envoya dans toutes les directions, dans l’Inde et hors de l’Inde, des missionnaires et des ambassadeurs chargés de promulguer l’évangile de la bonne doctrine.

Tous ces traits se retrouvent au fond des récits traditionnels, mais modifiés, mais grossis. Ce n’est point assez qu’Açoka soit un puissant monarque; les génies terrestres et célestes seront à ses ordres ; son avènement sera proclamé jusque dans les entrailles de la terre et dans les espaces du ciel. Il ne suffit pas qu’il s’attendrisse aux horreurs d’une guerre acharnée : il faut que des miracles interviennent pour expliquer sa conversion, que sa mansuétude soit rehaussée par l’antithèse d’un passé absurdement sanguinaire; l’honneur même de la religion qui a opéré le changement y est intéressé. C’est peu qu’il fasse rentrer les brahmanes dans le droit commun, qu’il les dépouille d’une domination exclusive, il faut qu’il les éloigne, qu’il les repousse, qu’il les persécute. La lutte entre brahmanes et çramanas prend un tour réaliste et concret; les brahmanes se sont perfidement glissés parmi les bouddhistes fidèles; leur imposture appelle et justifie les sévérités du roi. Généreux et charitable, Açoka poussera l’aumône jusqu’à la manie; il se dépouillera de son empire et de sa famille. Il importe que le clergé soit glorifié: le roi s’est fait le promoteur de la propagande religieuse, il a stimulé le départ des missionnaires, il a noué des relations avec les royaumes les plus lointains ; l’honneur en est transporté à l’assemblée des religieux et à son chef Tishya Maudgalipoutra. Le roi a recommandé aux religieux et aux fidèles l’étude des sermons et des paroles attribuées au Bouddha ; le souvenir se transforme en l’idée d’un concile qui fixe ou révise les écritures canoniques.