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tranquillement assis sur un lotus d’or, dans la cuve même où il prétendait le faire bouillir. Le fou s’éteint, tout demeure impuissant contre le saint. Averti, le roi accourt. Frappé du spectacle, ému des exhortations du moine, il Le salue et cherche à l’apaiser : « Pardonne-moi, ô fils du Sage aux dix forces (le Bouddha), pardonne-moi cette mauvaise action. Je m’en accuse aujourd’hui devant toi et je cherche un refuge auprès du Bouddha, auprès du clergé, auprès de la loi sainte. Et je prends cette résolution : aujourd’hui plein de respect pour le Bouddha et plein de foi en lui, j’embellirai la terre en la couvrant des tchaityas (sanctuaires) du Bouddha, qui brilleront comme l’aile du cygne, comme la conque et comme la lune. »

En effet, dans tous les récits, c’est par la construction de quatre-vingt-quatre mille stoupas, élevés dans l’Inde entière sur des reliques du Bouddha, que se manifeste d’abord le zèle religieux du royal néophyte. Les stoupas sont ces monumens hémisphériques, tantôt châsses, tantôt cénotaphes, qui sont la création monumentale la plus caractéristique de l’architecture des bouddhistes. Il en existe de toutes les époques et de toutes les dimensions. Les ruines de quelques-uns, soit dans l’Inde, soit à Ceylan, avec leurs appendices décoratifs, balustres et porches sculptés, sont les restes les plus anciens de constructions en pierre que l’Inde nous ait gardés. Ceux de Gayâ, de Bharhut, peuvent fort bien être contemporains d’Açoka. Les nombres ne gênent jamais la légende. Il lui était aisé d’attribuer un nombre infini d’ouvrages à un roi pour qui les dieux et les génies, d’après elle, travaillent en serviteurs obéissans. Un autre fait signale la conversion du roi : jusque-là, il avait de ses aumônes quotidiennes nourri soixante mille brahmanes ; de ce jour, il les chassa et nourrit à leur place soixante mille religieux bouddhistes.

L’événement capital, qui, d’après les bouddhistes méridionaux, marque son règne, c’est le concile réuni dans sa capitale, à Pâtalipoutra. Un nombre considérable de religieux brahmanes et hérétiques s’étaient sournoisement insinués dans les monastères bouddhiques. La présence de ces faux frères y avait jeté un désordre profond ; les orthodoxes refusaient de procéder, en leur compagnie, aux cérémonies prescrites; le cours régulier s’en trouvait arrêté. Averti de cet état de choses, jaloux de rétablir le bon ordre, le roi dépêcha au couvent appelé l’Açokârâma un de ses officiers. L’envoyé exigeait la reprise du culte; il rencontre une opposition invincible. Furieux, il n’hésite pas et commence à trancher de sa main la tête aux récalcitrans ; mais tout à coup il se trouve en présence d’un moine qui n’est autre que Tishya, le propre frère du roi. N’osant pas continuer sur lui ses sanglantes exécutions, il