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drame indou ; les plus ingénieux rapprochemens n’ont pas conduit encore à une preuve décisive. L’astronomie indoue s’avoue l’élève des Yavanas, des Grecs; les noms qu’elle cite, les termes techniques qu’elle s’approprie sont les témoins irrécusables de ses emprunts. Mais ils nous ramènent à une date trop basse de plusieurs siècles pour intéresser l’époque des premières relations. Les curieuses sculptures que nous rendent les ruines bouddhiques de la vallée du Caboul portent la marque saisissante de l’influence occidentale appliquée à des sujets indous. Mais, Fergusson l’a très bien vu, c’est l’art byzantin, ce n’est pas l’art des grandes époques de la Grèce qui a laissé son empreinte sur ces œuvres.

Pour les temps qui nous occupent, pour la période antérieure à l’ère chrétienne, il reste pourtant un témoin. C’est des Grecs que l’Inde a appris à frapper des monnaies. Un emprunt de cette importance ne va pas sans beaucoup d’autres. Ménandre, vers la fin du IIe siècle avant notre ère, est celui des souverains grecs qui a pénétré le plus avant dans l’intérieur de l’Inde, celui dont les monnaies s’y retrouvent en plus grand nombre. Sous la forme a Milinda, roi des Yavanas, » son nom a passé dans un ouvrage bouddhique : les Questions de Milinda, dont le cadre est un dialogue qui s’engage sur des sujets métaphysiques entre le roi et un célèbre docteur du nom de Nàgasena. La date du livr, encore indéterminée, est certainement postérieure de plusieurs siècles au temps où vivait Ménandre. Le souvenir qu’il garde en est plus significatif. Fergusson a démontré que l’architecture en pierre n’a été pratiquée dans l’Inde qu’après les incursions des Grecs. Comment n’en pas rapporter les commencemens, sinon à leurs enseignemens, au moins à leurs exemples? Les formes, le style des sculptures, n’ont rien d’hellénique ; c’est qu’on était habitué à construire, à sculpter en bois; la tradition de ce passé se trahit dans l’assemblage, dans les formes des plus vieux monumens; la matière a changé, tout y reflète encore la technique ancienne. Les ruines de Gayâ, probablement contemporaines de notre Açoka, nous mettent en présence d’un Hélios tout semblable aux représentations classiques du Dieu-Soleil; l’influence grecque peut être dissimulée, elle n’est pas loin.

Ce IIIe siècle, ce siècle d’Açoka, n’est pas seulement le temps où, avec Tchandragoupta et ses successeurs, s’établit dans l’Inde une puissante concentration du pouvoir politique. C’est l’heure où, dans nos inscriptions, apparaît pour la première fois l’usage officiel, public de l’écriture. Dans le domaine religieux, l’activité est extrême. Même sur le terrain littéraire, une vie nouvelle se prépare : c’est la première aurore de la littérature profane de l’Inde.