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soit d’exagération et de prodiges, confirme le dire du roi. Elle nous montre Mahendra et Sanghamitrâ, le fils et la fille d’Açoka, entrant dans les ordres et apportant à l’île lointaine l’évangile de la bonne loi. Sur les terrasses étagées d’Anourâdhapoura verdoie encore le rejeton planté, dit-on, par leurs mains, du fameux arbre de Gayâ, à l’ombre duquel le Bouddha, dans la légende, obtient la suprême sagesse. Pour les Grecs, la correction des noms, le fait que, en l’année 258, Antiochus II de Syrie, Ptolémée Philadelphe d’Egypte, Antigone Gonatas de Macédoine, Magas de Cyrène, et Alexandre d’Épire, étaient tous cinq vivans et régnans, ne permettent pas de douter qu’Aroka n’ait eu d’eux une connaissance directe, n’ait entretenu avec eux quelques rapports.

On imagine avec quel enthousiasme Prinsep salua jadis la découverte de pareils noms dans le texte, mystérieux la veille, qu’il épelait péniblement. Aujourd’hui nous sommes loin de la première surprise ; ces fragmens nous laissent encore une impression singulièrement vive. C’est justice ; dans ce peu de lignes, avec le prestige qui appartient à un monument antique, à un témoignage direct, avec une force d’autant plus saisissante qu’elle s’ignore elle-même, se manifestent deux grands faits : le premier épanouissement d’une religion universelle, — nos inscriptions nous en laissent deviner le mécanisme avec quelque précision ; — La première pénétration de deux des civilisations les plus disparates du monde antique, — et ici malheureusement Açoka est d’un laconisme que nous ne pouvons assez regretter.

Partout où les Grecs se sont rapprochés des peuples étrangers, leur passage a laissé des traces durables. Nulle part elles ne sont plus malaisées à démêler que dans l’Inde. Si rapide qu’ait été la conquête d’Alexandre, le contact direct s’est prolongé grâce au royaume de Bactriane ne des débris de son empire ; le contact indirect par la navigation et le commerce entre la côte occidentale et l’Egypte hellénisée est devenu de plus en plus fréquent. Par malheur, si les Indous sont en toute matière historique de médiocres témoins, c’est surtout vis-à-vis de l’étranger que leur insuffisance éclate. Mystique, insoucieux de la précision, du relief individuel, leur esprit était fermé à l’intelligence du dehors par les penchans et les préjugés les. plus forts. On a souvent observé combien les emprunts les plus certains perdent tôt dans l’Inde leur aspect original, se colorent promptement des teintes propres au milieu nouveau. On a cru dans certains récits retrouver l’écho de l’épopée ou des contes grecs ; et c’est une conjecture qui se défend. On a cherché, dans le spectacle des représentions théâtrale? des Grecs, l’impulsion première qui aurait abouti à la création du