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rationalisme et la pensée d’un bouddhiste fervent; la thèse d’un incrédule et l’appel d’un dévot, presque d’un apôtre!

La tolérance d’Açoka ne fait pas tort à son zèle.

Il a de ses devoirs un sentiment très vif; il l’exprime heureusement : il veut « payer sa dette » à ses sujets. Le devoir capital à ses yeux, c’est de propager ces vertus où il voit l’essence même de la loi religieuse, du dharma. Il s’y ingénie avec une ardeur naïve, touchante jusque dans ses inexpériences. Le long édit que j’ai cité d’abord résume la plupart des mesures, des institutions qu’elle lui a inspirées, celles au moins dont nous avons quelque connaissance.

On ne saurait témoigner d’une foi plus robuste dans l’empire de l’exhortation. Il y a là un souvenir de la carrière du Bouddha, de son enseignement dispensé sans réserve et sans apprêt. Le procédé était consacré par ce précédent souverain ; il se recommandait par sa nouveauté même. Ce dut être toute une révolution que cette prédication publique ouverte à tous. Un tel contraste avec les habitudes brahmaniques dut singulièrement frapper les esprits et gagner les volontés; ses premiers succès, sous des mains habiles, devaient inspirer dans sa vertu une confiance sans bornes. La première pensée que suggère à Açoka son zèle religieux est de multiplier les sermons, de les éterniser sur le roc. Dès son plus ancien édit, son plan est arrêté à cet égard : « Faites, dit-il à ses officiers, faites graver ces choses sur les rochers, et partout où il existe des stèles de pierre, faites-les-y graver. » — « C’est dans la douzième année après mon sacre, dit-il plus tard, que j’ai fait graver des édits religieux pour le bien et le bonheur du peuple. Je me flatte qu’il en emportera quelque chose, qu’ainsi, à tel ou tel égard, il avancera dans la vie morale. » Il ne se contente pas de mettre sur la pierre ses édits à la portée de ses sujets ; il veut qu’à certaines fêtes ses instructions soient lues solennellement au peuple par les dépositaires de son pouvoir; ils doivent d’ailleurs en toute occasion les répéter individuellement à chacun.

Il faut au roi un autre leader que son action directe, un peu perdue dans un empire si vaste. C’est sur ses officiers qu’il compte pour seconder sa mission.

« Ce que je crois, je désire le faire pratiquer, et je veux prendre pour cela les moyens efficaces. Or, le moyen principal, ce sont, à mon avis, les instructions que je vous confie. Vous êtes préposés à des centaines de milliers de créatures pour gagner l’attachement des hommes de bien. Tout homme est pour moi un fils. Comme je désire pour mes enfans qu’ils jouissent de toute sorte de biens en ce monde et dans l’autre, je le désire de même pour tous les hommes... Tel individu respecte tel de mes commandemens,