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après les garanties formelles données par la France aux grandes puissances, pût méconnaître le pacte fédéral. « La confédération germanique, disait-il, est une combinaison exclusivement défensive ; or la France ne s’est permis aucun acte d’hostilité vis-à-vis de la confédération, et si la diète décrétait contre elle des mesures agressives sur des données conjecturales, elle violerait l’esprit des traités[1]. »

Ce n’était pas une menace, mais c’était plus qu’un simple conseil.

Le ministre russe le prit encore de plus haut avec l’envoyé d’Angleterre, qui trouvait que le cabinet de Pétersbourg sortirait d’une stricte neutralité si, en concentrant des troupes sur ses frontières, il obligeait l’Autriche à diviser ses forces. Il lui répondit sèchement qu’il serait temps de discuter cette question quand l’Angleterre, si préoccupée de la neutralité d’autrui, renoncerait à renforcer sa flotte dans la Méditerranée. Il lui déclara aussi que si l’Autriche perdait ses possessions italiennes, la Russie ne ferait aucun effort pour les lui faire rendre.

L’ardente intervention de la diplomatie anglaise à Pétersbourg ne laissait aucun doute sur ses connivences avec l’Autriche, et surtout avec la Prusse. L’empereur s’était mépris, dans sa lettre au comte Walewski, sur l’attitude de l’Angleterre dans l’éventualité d’une guerre, comme il s’était mépris sur la neutralité bienveillante de la Prusse. Il avait cru que, paralysée par le soulèvement des Indes et sympathique à la cause italienne, elle se désintéresserait des événemens. Il lut déçu dès le lendemain de son compliment du jour de l’an au baron de Hübner, à la réception du corps diplomatique aux Tuileries. — « L’empereur peut être certain, écrivait lord Malmesbury à lord Cowley, le 11 janvier, que s’il trouble la paix, l’Angleterre lui sera hostile. Je ne doute pas que cette imprudence ne lui coûte la couronne ; l’Allemagne s’unira certainement contre les races latines. À titre d’ami, je l’engage à réfléchir avant de risquer un pareil coup de dé ! Voyez l’empereur lui-même, et dites-lui, avec toute la solennité possible, que les conséquences de la guerre retomberont sur sa tête, s’il permet à la Sardaigne de la commencer. »

  1. « Tant que la guerre se trouvera localisée, la Russie n’a aucun motif pour se départir de sa ligne de conduite. Son attitude se modifierait, ajoutait la note du prince Gortchakof, si, sans que le territoire de la confédération germanique fat attaqué, la Prusse et l’Allemagne se rangeaient du côté de l’Autriche pour soutenir cette puissance sur un terrain placé par les traités en dehors de la compétence et de l’influence légitime de la diète. Une pareille éventualité placerait l’empereur dans l’obligation d’examiner à quoi point cette ingérence serait compatible avec les principes sur lesquels est basé l’équilibre de l’Europe, dont elle ébranlerait l’édifice. Plus il tient à la paix, plus il croit de son devoir de s’opposer à toute intervention d’autres puissances, qui ne pourrait avoir pour effet qu’un embrasement général. »